Quels ont été vos premiers contacts avec l’écologie ?
Henri Jenn : Je m’intéressais beaucoup aux oiseaux, et à ce compte-là, je me suis dit qu’il fallait aussi les protéger et j’ai adhéré à la Ligue pour la protection des oiseaux du Haut-Rhin en 1966 j’y ai eu rapidement quelques responsabilités. J’étais membre de son conseil d’administration et j’en suis devenu le président régional en 1973. J’ai aussi participé aux luttes de Marckolsheim [occupation d’un terrain pour empêcher l’implantation d’une usine chimique], de Fessenheim ; j’ai participé à ce type d’activités pour y participer, mais sans ambition personnelle.
Comment avez-vous rencontré Solange Fernex et les autres membres qui constitueront le groupe Écologie et Survie ?
Je connaissais Solange par la LPO, par l’association Alsace Nature et par toutes les activités de protection.
Comment expliquez-vous ce fort intérêt précoce pour l’écologie en Alsace ?
Premièrement c’est un territoire qui est relativement petit et c’est un territoire auquel on est très attachés.
Comment est né Écologie et Survie ?
En tant que membre de la LPO, nous avons eu beaucoup de contacts et de demandes auprès des élus et des autorités, mais cela n’a jamais abouti. Donc on s’est réuni à six ou sept le 28 janvier 1973 chez Solange Fernex pour en discuter, pour réfléchir à ce qu’on pourrait faire. Et nous avons abouti à la conclusion de dire que si on veut être entendus par les élus, il faut les titiller au niveau de leur mandat. Et nous avons donc décidé ce jour-là de présenter un candidat et il se trouve que c’était moi.
Comment ce nom a-t-il été choisi ?
On a fait un petit échange, on a écrit sur un tableau et à la fin c’est Écologie et Survie qui est apparu comme le bon titre.
Quelles idées défendiez-vous à ce moment-là ?
C’était la protection en général : le tri, le transport… On n’avait pas beaucoup trop réfléchi à cette époque-là, on y est allé quoi.
Comment s’est déroulée la campagne ?
Moi je démarrais là-dedans : on a fait deux réunions publiques, l’une avec Robert Hainard [militant naturaliste engagé dans la protection de la nature, auteur de nombreux ouvrages], l’autre avec Philippe Lebreton [militant écologiste à l’origine de la création de la fédération Rhône-Alpes de protection de la nature]. Nous avons fait un tract que nous avons distribué et fait une affiche que nous avons collée, mais il n’y avait pas beaucoup de temps entre le 28 janvier et le 4 mars.
Malgré ces conditions, vous avez obtenu 1491 voix (soit 2,70 % des suffrages), la campagne a-t-elle eu un bon écho ?
Oui, je crois qu’on occupait un terrain qui était vierge et auquel des gens étaient prêts à souscrire.
Quel souvenir gardez-vous de cette période ?
Premièrement, j’ai beaucoup appris et je me suis engagé à fond, sur une période relativement courte.
Avez-vous été candidat par la suite ?
J’ai à nouveau été candidat en 1976 pour les cantonales et en 1978 et 1981 pour des législatives, j’ai aussi été candidat à des élections régionales en 1986. En 1976, j’avais obtenu pratiquement 10 % des voix dans mon canton, je me suis maintenu et au deuxième tour j’ai fait entre 11 et 12 %. Aux élections législatives suivantes, j’avais changé de circonscription, j’étais à Mulhouse Campagne, là j’ai fait autour des 8 %. Par contre, les campagnes m’ont pris beaucoup plus de temps : Mulhouse Campagne, c’était 90 communes, c’était énorme, c’était des réunions le soir, des collages d’affiches. C’était prenant, intéressant et très instructif.
Était-il important pour vous de « faire de la politique autrement » ?
C’était très important, parce que se cantonner uniquement à la politique, quand je dis « politique », c’est encore ce qui est en place aujourd’hui : gagner aux prochaines élections. Je crois qu’il faut parler aux gens et au cœur des gens, c’est pour ça que je dis que l’oiseau est un très bon transmetteur : dans la nature c’est l’animal qui parle le plus au cœur des gens.
Qu’attendiez-vous de ces candidatures ?
Je n’ai jamais brigué un mandat personnellement et j’espérais surtout ne pas en avoir, mais je pensais que cela restait important et que les idées des Verts auraient du être reprises par tous les partis. Je me suis trompé à ce niveau-là.
Comment a évolué le groupe Écologie et Survie ?
Le groupe s’est bien étoffé, surtout qu’aux élections cantonales en 1976 on avait des candidats un peu partout en Alsace. On était bien deux ou trois cents personnes au moment où Écologie et Survie a rejoint les Verts.
Avez-vous également adhéré aux Verts ?
Non, je n’ai pas adhéré aux Verts, parce que j’ai décidé de ne pas m’engager en politique mais de continuer avec mes responsabilités associatives, ce qui a fait que j’ai créé la LPO Alsace, que j’étais au conseil d’administration de la LPO France où j’ai occupé plusieurs postes dont celui de trésorier pendant plus de dix ans, ce qui était un poste important et qui me prenait beaucoup de temps. J’ai continué à côtoyer régulièrement les membres d’Ecologie et Survie, parce qu’ils n’étaient pas seulement cantonnés à la vie politique et moi je n’étais pas seulement cantonné dans le monde associatif. On discutait, on se voyait, on échangeait des idées. J’ai une pensée pour Solange Fernex qui a été l’un des grands moteurs de l’activité et aussi Antoine Waechter.
Comment jugez-vous l’évolution de l’écologie ?
On a quand même pas mal progressé depuis 1973 : en 1973 il n’y avait aucun ramassage de déchets. On réfléchit beaucoup plus et on est beaucoup plus attentifs à la qualité de l’eau, de l’air. Il y a quand même beaucoup de progrès qui ont été faits. Maintenant on parle beaucoup d’écologie, mais est-ce que c’est rentré dans le cœur des gens profondément ? Ça je ne sais pas, pour un certain nombre, oui, sûrement. Je voudrais rajouter que si l’écologie a pris de l’ampleur dans ce que moi personnellement j’appelle l’écologie « grise » (c’est-à-dire tout ce qui est transports, eau, air…), l’écologie « verte », la protection de la nature en tant que telle, celle-là elle est encore relativement ignorée. Beaucoup d’élus à l’heure actuelle parlent de l’environnement et il y a beaucoup de choses qui sont faites dans ce domaine, mais s’agissant de la protection de la nature, des milieux et des espèces, il y a beaucoup de paroles et peu d’actes.
Que pensez-vous du chemin parcouru par l’écologie politique jusqu’à aujourd’hui ?
Je pense qu’il y a eu des haut et des bas, beaucoup de rivalités personnelles. Je suis un peu dubitatif sur l’écologie politique à l’heure actuelle. Je suis éloigné des partis, mais pas de l’écologie.
Êtes-vous optimiste sur le fait que l’écologie puisse encore progresser ?
Oui je suis optimiste à ce niveau-là. Pour plagier Edgar Morin : je suis un opti-pessimiste:il faut avoir une sacrée dose d’optimisme pour fonctionner dans le pessimisme actuel.
Entretien réalisé par Meixin Tambay, Responsable des archives de la Fondation de l’Écologie Politique