Du 8 au 11 mai dernier, j’ai eu la chance d’être invité à représenter la Fondation de l’Écologie Politique lors de la dernière édition du forum d’échange entre jeunes européens organisé par la Heinrich Böll Greece et la Green European Foundation à Thessalonique (Grèce). À cette occasion, l’ « European youth dialogue » a réuni plus d’une centaine de jeunes activistes provenant de l’ensemble du continent, encore étudiants ou déjà actifs, mais tous militants d’un monde plus solidaire, d’une Europe fédérale et d’un modèle de développement à la fois harmonieux et écologique !
Cette génération de citoyens est couramment désignée comme étant la génération Y. Un peu rapidement catalogué(e)s, nous aurions en commun, un minimum d’instruction, une maîtrise d’Internet et des réseaux sociaux, une ‘culture’ mainstream issue de la mondialisation de l’industrie du divertissement américain et une plus grande maitrise de notre planning familial grâce à l’accès quasi généralisé à la contraception.
Mais ce qui lie indéfectiblement ces individus, c’est qu’ils appartiennent à la génération qui devra de gré ou de force, engager la métamorphose vers la civilisation de l’après pétrole. Cette génération de la transition devra créer un modèle de développement, nous permettant de tendre toujours plus vers l’idéal du bien-être collectif tout en respectant les limites que nous impose notre éco-système. Cette pantopie, chère à l’académicien Michel Serres, reposera sur un nouveau rapport à l’argent, à la propriété, à l’identité, à la citoyenneté, à la production et à la nature.
Pour le moment, la génération Y subit de plein fouet les effets des différentes crises issues du délitement du vieux monde, notamment au niveau de l’accès à l’emploi, au logement ou au crédit. Ajoutez à cela l’incapacité des « élites » à proposer un diagnostic et une vision adéquate et vous obtenez le séisme auquel nous avons assisté ce 25 mai dernier en France, à savoir une élection européenne au cours de laquelle 73% des moins de 35 ans se sont abstenus et qui a vu le Front National arriver en tête avec près de 25% des suffrages exprimés.
La claque est rude, les responsabilités multiples, les questionnements innombrables et le rejet incontestable. Mais si l’on se place dans le cadre d’une métamorphose, cela était peut-être inévitable. Voici ce qu’en dit Edgar Morin :
« La métamorphose de la chenille en papillon nous offre une métaphore intéressante : quand la chenille entre dans le cocon, elle commence un processus d’autodestruction de son organisme de chenille, et ce processus est en même temps celui de formation de l’organisme du papillon, lequel est à la fois un autre et le même que la chenille. Cela est la métamorphose. »
Dans ce cas, si les résultats aux européennes sont un signe de plus de l’autodestruction à l’oeuvre, on peut considérer que les innombrables initiatives écologiques et solidaires à travers le monde sont les prémices du futur papillon.
Ce forum d’échange à Thessalonique était l’une d’elle. Mais malgré le brassage réunissant des individus provenant de pays, de cultures et de milieux sociaux différents, il n’en demeurait pas moins un rassemblement de privilégiés. En effet, il n’a permis de réunir que ceux de la génération Y qui ont la chance d’être hyper éduqués, hyper connectés, hyper politisés et maîtrisant au minimum l’anglais en plus de leur langue natale.
Ces privilégiés le sont par leur capital social, intellectuel et économique mais ils le sont surtout par leur vécu, car la majorité d’entre eux à eu l’occasion d’expérimenter la découverte d’un autre pays et d’une autre culture que ce soit par le biais d’Erasmus ou d’autres programmes de mobilité internationale.
Dans 99% des cas, la principale leçon que chacun tire de cette expérience, c’est que l’identité est tout sauf un concept limité et concurrentiel comme le prétendent les nationalistes de tout bord. Au contraire, ils expérimentent concrètement le fait que les échanges entre des individus conscients de leurs particularités mais en même temps totalement ouverts au partage et à l’échange d’expériences, permet un enrichissement de toutes les parties sans qu’aucune n’aie à y perdre quoique ce soit, si ce n’est son ignorance. C’est cette nouvelle vision du rapport à l’altérité, qui permet de graver dans le marbre le sentiment d’appartenance à l’Europe et les poussent donc à se mobiliser sans relâche pour faire avancer sa matérialisation au niveau institutionnel et politique.
D’une certaine manière, ces privilégiés de la génération Y sont les pionniers de la conscience collective européenne, celle qui devrait nous permettre d’aboutir à une véritable Union européenne. Pas celle fondée sur la peur de la guerre et l’appât du gain, mais celle qui aura pour moteur la fraternité et la communauté de destin sur le vieux continent.
Pour pouvoir agir concrètement, nous devons :
1/ Réussir à concevoir un projet de société paneuropéen qui soit à la fois intelligible et désirable pour la majorité du peuple de l’Union.
2/ Investir les instances décisionnaires communautaires.
Le premier objectif était l’objet du forum autour du slogan « Reclaiming our Future » lors duquel nous avons pu échanger et affiner nos positions à propos des politiques de migrations (intra et extra muros), de la transition énergétique, de l’économie sociale et solidaire, de la réforme des institutions démocratiques, de la défense des biens communs… Le travail à abattre est encore considérable mais nous sommes sur la bonne voie.
Le second objectif est beaucoup plus complexe parce qu’il suppose au préalable un véritable sursaut civique et dans l’idéal une nouvelle constitution, cependant on peut déjà se réjouir de la candidature de Clarisse Heusquin en France, benjamine des têtes de liste écologistes françaises aux élections européennes, ou de Ska Keller. Cette dernière a prouvé lors du débat l’opposant aux autres candidats à la présidence de la Commission européenne, que notre génération est porteuse d’une vision nouvelle et d’une faim d’Europe plus à même de nous sortir des crises écologiques, sociales, économiques et politiques auxquelles notre continent est confronté.
Et les Grecs dans tout ça ?
C’est bien beau de se revendiquer comme la génération de la lettre Y de son alphabet mais qu’en est-il exactement de la situation de la Grèce et de son peuple ?
Depuis 2009, le traitement médiatique relatif à la situation grecque incite peu à l’optimisme…Les nouvelles effrayantes sur ses cachoteries comptables, sur son économie grise, sur son cadastre douteux pour ne pas dire inexistant, sur ses politiciens corrompus et la montée des extrêmes (Aube dorée), et la toute puissance de son église auraient presque pu nous faire oublier qu’il s’agissait également de la contrée qui a vu naitre des esprits aussi illustres que Socrate, Aristote, Pythagore, Hippocrate… C’est donc avec un mélange d’admiration et d’interrogation que j’ai pris l’avion pour entreprendre mon premier voyage en terre hellène.
Évidemment, la première chose qui saute aux yeux lors du trajet entre l’aéroport et le centre ville, ce sont les stigmates de la crise brutale qui frappe le pays depuis son « sauvetage ». En effet, malgré le soleil rayonnant, la première impression est sinistre, la route est bordée de plusieurs bâtiment à l’abandon ou en déliquescence, d’anciennes zones commerciales totalement vides et de nombreuses boutiques rideaux baissés arborant le fameux « À vendre »… Mais je ne m’attarderai pas plus longtemps sur le sujet car les médias l’ont suffisamment fait.
Ce que je voudrais souligner ici, c’est que malgré les préjugés et l’esthétique de certains quartiers de la ville, tout sentiment misérabiliste qui pourrait naitre est instantanément balayé à l’arrivée au centre ville par la vitalité de qui se dégage de ce lieu et de ses habitants. Malgré la féroce cure d’austérité que leur fait subir la Troïka, les Grecs n’ont pour autant pas renoncé à vivre, les rues sont bondées, les bars sont pleins (sauf les pièges à touristes évidement) et une certaine joie de vivre se dégage irrésistiblement de ces rues vivantes centrales. Quelle plus belle réponse les grecs pouvaient-ils offrir?
Pour rappel, depuis son entrée dans l’Union européenne en 1981, la Grèce a d’abord grandement profité des fonds structurels et autres mécanismes de redistributions (près de 30 Mds €). En 1992, elle a accepté d’adhérer à l’euro en votant massivement pour le traité de Maastricht, avant de réussir un « miracle » comptable lui permettant de rejoindre la monnaie unique en 2001. L’aveuglement était tel que la Grèce était régulièrement citée en exemple par la commission européenne pour la vigueur de son économie et le sérieux de sa gestion, ce qui lui a permis d’emprunter sur les marchés financiers quasiment au même taux que l’Allemagne.
C’est à ce moment là que les comptes ont vraiment commencé à déraper, avec comme point d’orgue l’organisation des JO d’Athènes en 2004 (près de 18 Mds € selon les experts). Les institutions européennes ont alors reçu les premières alertes concernant les bizarreries comptables de l’Etat grec mais ils ont préféré fermer les yeux.
En même temps, comment réprimander la Grèce lorsqu’au même moment la France viole ouvertement les critères de Maastricht et refuse catégoriquement toute sanction en provenance de l’UE comme l’a fait Jean-Pierre Raffarin en 2003. D’autant plus qu’à l’époque, la religion commune poussait à croire que la croissance monterait jusqu’au ciel et ce faisant, permettrait de rembourser les dettes plus facilement. En conséquence, la Grèce a pu continuer ses folies pendant encore quelques années avec la complicité des institutions européennes, de Goldman Sachs et des agences de notation.
La Grèce, plus que tout autre pays, a succombé aux sirènes de l’argent facile. Elle a été bien aidée par des dynasties politiques corrompues, une Église tentaculaire (premier propriétaire foncier du pays et actionnaire à 40% de la banque de Grèce, qui plus est exonérée d’impôt), des armateurs voraces, une armée pléthorique (budget équivalent à 35% du PIB avant la crise) et une haine viscérale de l’impôt.
Mais la crise des subprimes et la faillite de Lehman Brothers ont mis fin à la fuite en avant au niveau mondial. En 2009, dos au mur, le premier ministre grec Georgios Papandréou se trouve dans l’obligation de révéler les véritables comptes du pays, à l’époque, le déficit grec s’élevait à 12,7 % et la dette globale à 340 milliards € (113% du PIB). Dès lors le retour sur terre fut brutal.
Le peuple grec doit dorénavant rembourser rubis sur ongle, les dettes avec lesquelles le mirage de son « hédonisme » était entretenu, notamment par le biais du clientélisme politique et du laxisme dans la collecte des impôts.
C’est souvent le problème avec l’argent facile : il repart plus vite qu’il n’est arrivé. La particularité avec le cas grec, c’est qu’après être parti, il a été remplacé par la Troïka, avec les conséquences dramatiques que l’on connait : 1 000 000 d’emplois perdus ; 30% des entreprises fermées ; 38% de baisse des salaires ; 45% de baisse des retraites ; 42,8% d’augmentation de la mortalité infantile ; 98,2% d’augmentation du taux de pauvreté ; 2 suicides chaque jour…
Malgré cette saignée, la situation financière du pays demeure catastrophique mais de l’aveu des grecs eux-même, cette crise a obligé nombre d’entre eux à redécouvrir les vertus du partage, de la coopération et de la solidarité.
Les multiples initiatives que nous avons pu observer ainsi que les échanges que nous avons eu avec nombreux activistes locaux (notamment l’association Make) me laissent espérer que même si les grecs ne tireront aucun bénéfice à court terme du régime auquel ils sont actuellement soumis, ils y gagneront peut-être quelque chose de plus important.
En tant qu’écologistes, nous défendons une vision de la société beaucoup moins axée sur la dépendance à l’argent. Mais à l’heure actuelle, il est extrêmement difficile de convaincre une majorité de nos concitoyens de la pertinence d’une sobriété heureuse tant ils sont attachés à la religion de l’argent. Les grecs, eux, n’ont pas le choix. Dans leur martyr, ils ont l’obligation de faire preuve de créativité pour réinventer un modèle leur permettant de conserver une certaine qualité de vie avec beaucoup, beaucoup moins d’argent.
S’ils y parviennent, ils deviendront eux aussi des pionniers de la métamorphose que nous appelons de nos voeux, et dès lors, nous reparlerons à nouveau des grecs pour leur magnifique pays ainsi que pour leur grandeur d’âme, dont ils ont déjà fait preuve par le passé et qui empreigne encore l’atmosphère de Thessalonique.
Pour finir, je voudrais simplement féliciter les organisateurs de cet évènement et dire un grand merci Thessalonique ainsi qu’à ses habitants car à l’issue de ce voyage, je suis d’autant plus fier de pouvoir me dire qu’en tant qu’européen ce peuple est aussi le mien.
Stanislas MENDY, chargé de mission à la Fondation de l’Ecologie Politique