comment avez vous rencontré Jean-Luc et Sylvie Burgunder ?
Pascale Auditeau : C’est la vraie question, c’est de là que tout part. En fait, je suis journaliste dans le Loiret depuis de nombreuses années. J’ai rencontré Jean-Luc Burgunder quand il était encore vice-président de la région Centre. Il était en charge de la formation et de l’apprentissage. Il était également président du centre de formation des apprentis de Montargis à cette époque. Donc nous étions en contact pour des questions qui touchaient à ces questions-là. Je l’ai rencontré de manière professionnelle à la fin des années 2000, je ne sais pas, entre 2005 et 2010 peut-être. Et Jean-Luc étant quelqu’un de très bavard et de très communiquant, quand on parlait des questions qui nous intéressaient sur l’actualité de la formation, de l’apprentissage, etc. On papotait et on papotait l’écologie, on papotait plein de choses. Et puis, on est devenus amis. Je pense qu’on peut le dire comme ça. Et en 2018, j’ai pris mes fonctions à Montargis et puis nos liens se sont resserrés, j’ai également rencontré Sylvie [Burgunder], nous parlions, et puis au fil de nos conversations, il y avait souvent des noms comme celui de René Dumont, de Brice Lalonde, enfin que sais-je, de Cavanna, de Cabu, il me parlait du Larzac, et au bout de tout ça, je me suis dit, mon Dieu, mais Jean-Luc, il a fait plein de trucs en fait ! Voilà, comment tout cela est né.
À quel moment est née l’envie spécifique de faire un livre sur le journal ?
C’est en 2019, suite à l’une de nos conversations, où il m’a appris quelque chose que j’ignorais, c’était les 45 ans des assises de l’écologie de juin 1974 à Montargis, suite à l’élection présidentielle. Et donc il m’a appris que les assises s’étaient déroulées à Montargis et que le mouvement, enfin le parti des Verts aurait pu naître à ce moment-là. Donc à l’époque, j’avais fait une double page dans le journal. Et puis, Jean-Luc manifestait ce regret que finalement cette histoire ne soit pas plus connue, et puis il ne pouvait pas l’écrire lui-même, enfin, il m’a dit : est-ce que tu ne l’écrirais pas, cette histoire ? Et je lui ai dit, écoute, banco, allez, on y va ! On va essayer de l’écrire, parce que je trouvais vraiment que cette aventure, elle méritait d’être connue, et puis que ce que ces jeunes de l’époque autour de Jean-Luc et Sylvie Burgunder avaient fait, il fallait que ce soit dit, écrit et connu.
Et sur quelle source vous vous êtes appuyé pour l’écrire ? Parce que bien sûr vous citez beaucoup Jean-Luc que vous avez interrogé mais vous êtes allée interroger plus largement d’autres acteurs.
Alors première chose, il y a eu beaucoup d’entretiens avec Jean-Luc et Sylvie par téléphone, chez eux, on a passé des longues heures à se parler. Moi j’ai aussi pris connaissance du journal du début à la fin, j’ai repris tous les bulletins, les journaux, etc. Je les ai lus, je les ai vraiment épluchés pour avoir une base de travail. Et ensuite, j’ai fait appel à d’autres interlocuteurs, je pense à Yves Frémion notamment, qui avait écrit lune histoire de l’écologie. J’ai essayé de retrouver les acteurs de l’époque, de ces années 70-80, ce qui n’a pas toujours été aisé, puisque Jean-Luc n’avait plus forcément des contacts, donc ça, ça m’a pas mal occupée, sachant qu’il y a des gens que j’ai clairement pas retrouvés. Mais j’ai fait un boulot de journaliste. En fait, j’ai essayé de retrouver ces gens qui sont dispatchés dans toute la France maintenant, pour qu’ils m’apportent des témoignages, des regards autres sur la situation.
Ce qui est frappant à la lecture du livre, c’est de voir comment le journal a épousé l’histoire du mouvement écologiste et ses grandes dates.
Complètement, parce que moi j’avais lu l’histoire de l’écologie politique par Yves Frémion j’ai lu aussi le bouquin d’Arthur Nazaret, également sur le mouvement écolo. Et là, il y a plein d’épisodes, de choses que j’ignorais complètement malgré tout : des pollutions, mais également des élections. Le journal de Jean-Luc Burgunder il est vraiment très dense. Et c’est une mine d’informations pour comprendre comment ce mouvement a évolué, comment il a buté contre des murs à certains moments, comment il y a eu des dissensions, quelles étaient aussi les distinctions entre les différents mouvements puisqu’ils donnaient la parole à tout le monde et ces publications, elles ont valeur de témoignage finalement, je trouve. Je pense que c’est un éclairage par le petit bout de la lorgnette de cette construction d’un mouvement d’écologie politique en fait un petit peu plus loin des grandes figures qu’on connaît aujourd’hui : Brice Lalonde, Antoine Waechter, enfin ces personnages assez historiques qu’on a vus beaucoup dans les médias, là c’est un autre angle de vue, plus local, avec des gens qui sont restés plus anonymes en fait.
On a le sentiment que ce journal occupait une place à part dans le mouvement écologiste. Comment la caractérisiez vous ?
Cette place, Jean-Luc et ses amis, tous ceux qui l’entouraient, ont toujours voulu rester totalement indépendants. Et ça, c’est vraiment ce qui caractérise ce journal, qui est resté finalement en dehors, mais avec le mouvement. Enfin, avec beaucoup de difficultés quand même. On évoque toujours Le Sauvage, mais on ne cite jamais Écologie. Et c’est vrai que Jean-Luc, avec ce tempérament très indépendant, finalement a fait son petit bonhomme de chemin tout seul, en se coupant parfois du mouvement écolo. Mais il y avait quand même une base d’adhérents assez importante. Puisqu’au contraire des autres titres, Écologie a été publié pendant 20 ans quasiment sans interruption, là où les autres connaissaient des soubresauts qui étaient liés à l’économie. La Gueule ouverte a eu la disparition de Fournier, évidemment. Écologie est resté quand même un pilier de la presse écologique pendant 20 ans, à moins de 100 ans, avec peu de moyens.
Oui, ça on y reviendra parce qu’effectivement c’est assez récurrent dans l’histoire du journal, les problèmes de moyens.
Justement, parce qu’en 1992, le journal s’arrête. Jean-Luc et Sylvie lui ont consacré toute leur jeunesse, toute leur énergie. C’est à l’image sans doute de pas mal de militants qui ont consacré leurs belles années à la lutte, à pas mal de luttes. Et qui à un moment s’arrêtent, on retombe dans l’anonymat finalement.
Avant de retourner dans l’anonymat, on voit qu’ils ont croisé vraiment plein de figures connues dans le monde de l’écologie. Est-ce que vous pouvez vous en citer quelques-unes ?
Je ne sais pas si je cite tout le monde, mais je peux dire que Jean-Luc est finalement bien connu dans ce monde, ce mouvement écolo et parmi des personnalités qu’on connaît toujours aujourd’hui. Je pense à Dominique Voynet que j’avais essayé d’interroger, oui, il a été proche de Dominique Voynet ; Marine Tondelier, il l’a côtoyée aussi dans le mouvement écolo. Brice Lalonde, évidemment, à de très nombreuses reprises. Moi, je ne sais pas si je l’ai écrit dans le bouquin, mais je sais que quand je vais chez Jean-Luc et Sylvie, j’aime bien m’asseoir sur le tapis par terre, je bois mon café en mangeant un petit carré de chocolat et souvent, Jean-Luc me dit, « Oh, c’est exactement là que ça s’est lié Brice Lalonde, lui aussi, sur le tapis ». Les gens sont venus à Montargis, il y a eu des réunions publiques dont certains se rappellent encore ici. Je ne sais plus si c’est Brice Lalonde, Antoine Waechter, mais les campagnes des écolos sont passées par Montargis. Je pense à Solange Fernex également qui était une grande figure. Il les a tous connus en fait. Et puis évidemment René Dumont, c’était le voisin René Dumont.
l’un des aspects les plus passionnants de votre livre concerne la vie même du journal –, comment est-il fabriqué concrètement à cette époque? avec quel matériel? dans quelles conditions ?
D’autant plus, moi en tant que journaliste, j’ai trouvé ça passionnant, à titre personel, j’ai pas mal bossé sur l’histoire de l’édition, de la presse, etc. Et là je me disais, mais comment ont-ils fait pour sortir un bouquin ? Au début on a un groupe de copains qui sort des pages sur la ronéo du presbytère de Montargis, personne n’est professionnel. Franchement, ils font avec les moyens du bord pour arriver à un magazine en couleur très pro, avec des éditos, des collaborations, des photos, etc. Et quand on leur demande, à tous ceux qui ont participé, finalement ils ne se rendaient pas compte à l’époque de ce travail d’équipement qu’ils ont accompli et cela sans aide de qui que ce soit, finalement ils n’ont pas bénéficié de fonds publics, de subventions, que sais-je, enfin ils faisaient comme ils pouvaient. Et ils ont aussi suivi l’évolution des moyens techniques, parce que Jean-Luc évoque souvent le premier ordinateur qu’ils ont eu, à l’imprimerie à Château-Renard, enfin là c’est aussi un truc de fou, ils avaient leur imprimerie dans un petit bled du Montargeois, ça paraît incroyable, ils avaient investi dans une imprimerie. Et puis toutes les difficultés dans la distribution de ce journal, parce que faire un journal c’est bien, mais faut-il encore le vendre. Ils étaient partis sur un modèle qui fonctionnait essentiellement sur abonnement, vu qu’ils avaient du mal à être distribués. Et ça, je trouve que c’est passionnant. Ça montre les limites aussi de l’exercice. Tenir dans des conditions comme ça, c’était purement extraordinaire, avec tous les appels à contributions, en plus financières, aux lecteurs fidèles du journal. On voit que Jean-Luc, perpétuellement, il demande, enfin il est en quête d’argent pour relancer la machine, sachant qu’il assumait un petit peu toutes les fonctions là-dedans : éditorialiste, rédacteur en chef, maquettiste, photographe… Sylvie a fait de même, elle était secrétaire de rédaction, ils étaient tous super polyvalents.
On se dit : mais comment ont-ils fait pour sortir le journal ? J’ai eu l’impression qu’il y avait aussi quelque part une ambiance de camaraderie qui a fait que les acteurs en gardent un assez bon souvenir.
Alors maintenant oui, mais pas que, ça a été compliqué quand même. Je crois que ça a été super compliqué, c’est Gérard Chaussée qui a complètement quitté tout ça, qui était parti suite à l’accident qu’il a évoqué à un moment, et qui disait qu’ils étaient très idéalistes finalement, et que leur souhait ce n’était pas de faire une feuille de chou, c’était de faire quelque chose de vraiment super sérieux, sans faute, vraiment très sourcé. Enfin, après, on le voit, c’était pas toujours le cas. Ils piquaient volontiers des articles chez les petits camarades sans citer leurs sources, mais ils avaient vraiment envie de faire quelque chose de pro, justement pour qu’on ne dise pas que les écolos, c’étaient des hurluberlus qui faisaient ou qui disaient n’importe quoi.
Revenons sur l’évolution de la ligne éditoriale. Ce qui est frappant, c’est le choix de départ, qui est très original, c’est-à-dire qu’ils publient quasiment tout ce qu’on leur envoie sans censure.
Oui, alors ça, on a commencé avec un groupe militant qui reçoit tout, qui passe tout, qui est pour une liberté absolue de parole – on le voit dans certains textes qui sont passés qui arrivent de l’autre bout de la France –, où on peut tout dire. Aujourd’hui, on ne pourrait plus. Où les gens parfois même, je ne veux pas dire s’insultent, mais se jettent des piques entre groupes interposés. Et on est passé dans les années 80-90 à quelque chose avec un courrier des lecteurs, des rubriques, enfin quelque chose de beaucoup plus formel finalement. Mais le postulat de départ était, je trouve, emblématique de ces années 70 et surtout de cette volonté de liberté de parole absolue, ce qui caractérise Jean-Luc toujours aujourd’hui d’ailleurs.
Concernant la forme du journal, vous insistez là-dessus, il accordait une grande place au dessin. Est-ce que vous pouvez nous en dire plus ?
Alors, Jean-Luc a commencé, il a été graphiste. C’est quelqu’un qui aussi a accordé beaucoup de place à la photo parce qu’il est lui-même un peu photographe. Et avec Gérard Chaussée, qui est vraiment un élément fondamental de ces débuts des années 70, Gérard, lui, était super fan de bandes dessinées et le dessin, pour eux, avait une très, très grande importance. Ils pensaient qu’on pouvait dire beaucoup avec le dessin et notamment en matière d’écologie. Ils avaient d’ailleurs créé L’échographe, cette revue qui n’a eu que deux numéros, où il n’y avait que des dessins finalement. Donc oui, le dessin a toujours gardé une place très, très grande, et ils ont attiré à eux des jeunes qui étaient à la fois écolos et dessinateurs et qui y trouvaient leur place, qui pouvaient publier leurs premiers dessins ou les vendre à d’autres titres également, mais qui ont fait leurs premières armes aux côtés de Jean-Luc et Gérard.
Il y a eu beaucoup de difficultés matérielles et c’est révélateur de la difficulté à faire exister une presse indépendante, militante. On a l’impression que tenir un journal sur une telle durée, ça relève vraiment de l’exploit.
Jean-Luc Burgunder est bien connu à Montargis, le journal, les gens s’en rappellent, enfin se rappellent de ses combats, mais il ne se rendait pas compte, je crois, de ce qu’il a accompli, avec des bouts de ficelle, sans moyens, sacrifiant finalement sa vie personnelle. Et puis, sacrifiant un confort financier, parce que Jean-Luc et Sylvie ont tous investi dans le journal, ils y croyaient tellement – et ils y croient toujours d’ailleurs – que toutes leurs économies, leurs vies, tout passait dans le journal sans pouvoir en sortir de salaire. Jean-Luc un petit peu, mais Sylvie pas du tout. Et les personnes qui ont collaboré à ça, ils donnaient les dessins, c’était purement gratuit, bénévole, c’était vraiment pour la cause de l’écologie.
Est-ce qu’il y a quelque chose que vous voulez rajouter, quelque chose qui vous a particulièrement surprise ou intéressée quand vous avez retracé l’histoire de ce journal ?
Je ne m’attendais pas à de telles personnalités, que ce soit les dessinateurs ou les auteurs de ce journal. On est face à des gens qui ont aujourd’hui entre 70 et 80 ans, donc qui sont des personnes plutôt âgées, des retraités et tout, dont certains ont eu des carrières, certains ont fait des carrières dans l’industrie, d’autres sont devenus enseignants, il y a plein de choses. Et derrière ces personnes un peu âgées, on retrouve ces militants complètement idéalistes des années 70-80. Ils y croyaient dur comme fer, qu’ils allaient changer le monde et qu’ils allaient éveiller les consciences en matière défense de l’environnement. Ils y croyaient. Et aujourd’hui, quand on fait le bilan, c’est vrai que pour certains, c’est difficile, parce que 50 ans plus tard, finalement, rien n’a changé. Le combat est toujours là. Le message est toujours finalement aussi difficile à faire passer. Cette urgence climatique, on en voit les conséquences aujourd’hui. Eux, ils ont vraiment clamé tout cela dans le désert pendant des décennies. Donc j’ai trouvé des gens qui sont un peu déçus, finalement, de ne pas avoir été entendus au moment où ils alertaient les gens. Et ça, j’ai trouvé ça très, très, très émouvant parce que quand je les ai interrogés, ils me disaient : « mais on avait raison en fait, on avait raison et puis on ne nous écoutait pas ». Ils passaient vraiment pour des ahuris, des fous. Ce qui est intéressant aussi, ce qui m’a beaucoup, beaucoup intéressée, c’est qu’ils ne se reconnaissent pas aujourd’hui dans le mouvement écolo, quoi. Pour eux, le militantisme, il est sur le terrain. Et l’action, pour eux, elle s’est traduite par ce journal. C’est vraiment ça qu’il faut retenir. Le militantisme, c’était le journal, informer, faire connaître les problématiques. Ils se sont rendus compte au bout d’un moment que faire des manifestations, aller faire des sit-ins devant les centrales en construction, c’était bien, il y avait d’autres groupes qui le faisaient, mais que eux, leur vocation, c’était plutôt d’écrire, de montrer, de photographier, de dessiner et d’éveiller les consciences par le biais de la presse.
Pour terminer, est-ce que vous avez d’autres projets liés à cette histoire ?
Cela ne s’arrêtera jamais avec Jean-Luc. Avec un autre des protagonistes de cette époque, on se disait que peut-être, on pourrait essayer de republier des numéros d’Écologie, de faire une espèce d’anthologie pour montrer aux gens comment c’était. Ou alors faire un bouquin avec les plus beaux dessins. Donc, peut-être, mais ça ne s’arrêtera pas en tout cas. C’est un peu ma mission de faire que leur implication et leur mobilisation soient connues. Moi, je l’ai vraiment voulu comme un hommage à ce qu’ils ont fait, parce que pour moi, Jean-Luc Burgunder, c’est quelqu’un de très inspirant. Il le restera, de toute manière. Au-delà de l’amitié, c’est quelqu’un qui m’a beaucoup apporté.
Propos recueillis par Meixin Tambay, responsable des archives de l’écologie politique
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