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  • PARIS CLIMAT 2015-2035

Avant propos

Par Catherine LARRÈRE, Marc LIPINSKI, Lucile SCHMID

En décembre 2015, la 21e Conférence des Parties sur le climat (COP21), se tiendra au Bourget, près de Paris.

C’est en 2013 que François Hollande et son gouvernement ont manifesté la volonté d’accueillir cette 21e Conférence des Parties de la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques. La communication gouvernementale officielle présente l’événement à venir comme « l’un des moments diplomatiques les plus importants du quinquennat du président français ». Entre préparatifs matériels, groupes de travail, coordination des ONG, manifestations conviviales et engagées sur les territoires, le compte à rebours a largement débuté. Ces derniers mois, ce sont malheureusement des signes plutôt négatifs qui se sont accumulés. Le cinquième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) dont la synthèse a été publiée en novembre 2014, affirme clairement que les activités humaines, notamment l’usage des énergies fossiles, ont conduit à une hausse exceptionnelle de la concentration des gaz à effet de serre transformant le climat terrestre à un rythme jamais vu depuis des centaines de milliers d’années. Au début de l’année 2014, les propositions nouvellement émises par la Commission européenne avaient déjà déçu, étant bien en retrait par rapport aux orientations précédemment adoptées en 2008 et en 2012. Le Conseil européen d’octobre 2014 a amplifié la tendance en adoptant un accord jugé minimal sur les grandes lignes de ce qu’on appelle le paquet Énergie-Climat pour 2030. Dans le domaine de l’énergie, le risque est réel aujourd’hui que chacun des États membres de l’Union européenne favorise une approche fondée sur les spécifi cités de son économie et des habitudes sociales (répartition entre énergies renouvelables et classiques – charbon, nucléaire –, choix des prix de l’énergie, choix d’investissements...) plutôt qu’une vision européenne qui s’appuierait sur une politique intégrée avec des objectifs à 5-10 ans. Cette vision pourrait être portée par le Parlement européen mais ce sont aujourd’hui les États membres qui ont le dernier mot via le Conseil européen.

Est-il encore possible d’inverser la tendance dans les mois à venir ?

Est-il encore possible d’inverser la tendance dans les mois à venir ? Si le récent accord politique de réduction des émissions conclu entre la Chine et les États-Unis est un signe positif, les perspectives d’un accord contraignant qui serait adopté à la Conférence de Paris semblent cependant pour le moins incertaines. La montée en puissance de l’exploitation des gaz de schiste outre-Atlantique accompagne l’action de puissants lobbys climato-sceptiques, celui des énergies fossiles en premier lieu. Simultanément, la promotion des énergies renouvelables et les investissements qu’elles nécessitent sont sujets à de nouvelles remises en cause dans un contexte de crise économique et de finances publiques contraintes. C’est toute l’idée du changement de modèle de développement social et économique qui marque le pas. Ne voir la future COP21 que comme une occasion de succès diplomatique français, n’est-ce pas masquer que l’enjeu est celui de la transition écologique ? Au delà des termes d’un accord que nous souhaitons contraignant et le plus largement partagé du Nord au Sud, comment créer les conditions d’une dynamique durable ? Nous pensons que ce sont les opinions publiques qui peuvent faire basculer le rapport de forces, en régénérant « le » politique, avec des moyens moins conventionnels que ceux qui semblent les avoir déçues par le passé.

 

À contre-courant de la morosité ambiante, la Green European Foundation et la Fondation de l’Écologie Politique ont ensemble choisi d’aborder la question d’une manière délibérément optimiste, voire utopiste. Il nous paraissait en effet essentiel de faire écho aux mobilisations citoyennes, sociales, associatives dont les signaux se multiplient partout, en Europe et dans les autres pays développés comme dans les pays émergents ou le Sud. Sans négliger le paysage institutionnel, nous estimons que l’enjeu climatique est suffisamment crucial pour insister sur ce qui se déploie ici et là, à l’opposé des mécaniques bloquantes de type onusien, renouvelant l’air ambiant et entretenant l’espoir. La problématique climatique est certes extraordinairement complexe, liée à des phénomènes physico-chimiques qu’il est difficile de présenter simplement, porteurs d’enjeux économiques et géostratégiques, tout autant que sociaux, politiques et culturels. Mais c’est aussi et d’une certaine manière d’abord, un sujet qui est l’aff aire de tous et donc d’essence démocratique.

Pour dépasser l’approche « stop and go » induite par les modalités de préparation des conférences internationales et européennes, il serait ainsi souhaitable de s’intéresser aux dynamiques d’acteurs et à leurs initiatives. Cela nous permettra – peut-être – d’échapper aux résistances et aux conservatismes de tout poil – qu’ils soient nationaux, financiers ou économiques – et d’inscrire la prise en charge des questions climatiques dans le long terme. Ces acteurs sont aussi bien des collectivités locales, des entreprises, des ONG, que des communautés de citoyens ou même des individus qui se sentent concernés par le sort de la planète, de ses occupants actuels et à venir. Plutôt que de dresser un bilan des dernières étapes des négociations, ou de faire une synthèse des rapports du GIEC, nous avons donc choisi de solliciter plus d’une vingtaine d’auteur-e-s en leur demandant de se placer dans une configuration inédite : ils et elles devaient écrire en se positionnant dans un avenir pas trop éloigné, autour de 2035. Se livrant dès lors à un exercice de prospective, il s’agissait pour elles et eux de tracer à grands traits la physionomie de la société future dans l’hypothèse, certes hasardeuse, d’une Conférence de Paris qui, en donnant une impulsion positive aux relations entre les acteurs de la lutte contre le changement climatique, aurait réellement réussi.

À mi-chemin du temps présent

À mi-chemin du temps présent et du milieu du XXIe siècle, date retenue par le GIEC comme échéance ultime pour tenter de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 à 70 % et par là-même contenir le réchauffement de la planète à un maximum de +2°C en moyenne, cette projection vers 2035 permet de décrire une société profondément différente de celle d’aujourd’hui, en termes de valeurs, de comportements, de dynamiques individuelles et collectives. Ce sont de nouvelles règles du jeu qui ont émergé sur le plan institutionnel et démocratique, dans le domaine économique et entrepreneurial, en ce qui concerne notre relation aux sciences et au progrès, en matière agricole, lorsqu’il s’agit d’aménager la ville ou d’y vivre ensemble, lorsqu’on analyse la géopolitique qui mène ce monde recomposé.

Le fait marquant mis en valeur par l’ensemble des auteur-e-s réside certainement dans la description d’une société où la transition écologique a permis de réinventer un tissu social avec des relations à la nature et à la temporalité radicalement redéfinies. Tous les « outsiders démocratiques » que sont aujourd’hui les jeunes, les femmes, les personnes en situation de précarité, de migration, etc. ont retrouvé un rôle et agissent dans un monde où l’écologie a toute sa place, et dont il reste à dessiner les contours et le fonctionnement institutionnels, à penser ses valeurs nouvelles, nécessairement coopératives et non violentes. Si les anticipations qui sont ici réunies tiennent compte de ce qui se passe déjà, elles n’ont nullement la prétention de prévoir ce qui va se passer.

Dans un univers complexe

Dans l’univers complexe qui est celui du changement climatique, le passé d’un système ne permet pas d’en prévoir le devenir. Il faut plutôt se préparer à accueillir l’imprévisible, et imaginer des mondes possibles. Ceux-ci sont d’autant plus multiples, que les différente-s auteur-e-s des textes qui suivent, s’ils ou elles s’accordent sur l’importance qu’il y a à changer de modèle social, ne s’entendent pas toujours sur la façon dont il devrait être constitué : sur l’importance du marché, notamment, les avis divergent.

Quelques lignes de force, cependant, se dessinent. La première concerne l’articulation du politique et de l’économique, la liaison entre l’État, ou plutôt les États (et leur coordination), les entreprises (et la recomposition de leur direction), les investisseurs (comment la finance comprendra qu’elle peut avoir un impact sur la décarbonisation du système).

Curieusement, ce qui pourrait d’abord apparaître comme l’axe le plus réaliste de l’anticipation (ne s’agit-il pas là de variables stratégiques dans la transition énergétique ?) se révèle peut-être la partie la plus utopique : peut-on vraiment envisager que les États, les marchés, les entreprises changent à ce point ?

En tout cas, il n’y a pas tout à attendre de cet axe. Une certitude se dégage des textes présentés : non seulement les gouvernements n’agiront que sous la pression des opinions publiques, des actions citoyennes et des mobilisations sociales, mais celles-ci agiront, et agissent déjà, sans attendre les actions gouvernementales et indépendamment d’elles. C’est à d’autres échelons que le seul échelon gouvernemental (même mondial), et dans d’autres domaines que le seul domaine économique que se déroulent les transformations qui comptent : celles du monde vécu. Pour importantes qu’elles soient, les incitations ou les contraintes gouvernementales ne suffi sent pas à changer mécaniquement les modes de vie : ces changements ne se diff useront que s’ils sont voulus et non subis.

Aussi efficaces que soient les réductions d’émissions de gaz à effet de serre, et aussi suivie d’effets que soit l’adoption de techniques moins polluantes, on n’arrêtera pas un changement climatique qui est déjà en cours et se poursuivra. Pour s’y adapter, de nombreuses populations, humaines et non humaines, devront se déplacer. Ce sont ces migrations qu’il faut accompagner, en reconnaissant les droits des humains, et en faisant ce que l’on peut pour diminuer les dégâts soufferts par les non humains.

Les textes que l’on va lire décrivent un monde meilleur : le vivant respecté, le village global pacifi é, les richesses partagées, le politique régénéré, l’écologie intégrée à la société. Mais ce monde meilleur n’est pas le meilleur des mondes : il est trop multiple, ouvert à la diversité des possibles, laissant place à l’initiative individuelle et collective. Pour apaisé qu’il soit, c’est un monde en mouvement et qui connait le confl it : non seulement parce qu’il y a place pour le débat entre diff érentes solutions possibles, mais parce que le choix d’une solution ne va pas sans renoncement, ou déchirement, collectifs ou personnels. Bref un monde qui vit, qui se transforme, dont on ne sait pas tout, que l’on peut vouloir discuter ou préciser...

 

Les essais présentés ici ne sont, en eff et, que des morceaux d’un puzzle, d’une « collection » à compléter pour assembler ce tableau imaginaire qui peut néanmoins inspirer nos actions futures. En nous projetant 20 ans en avant, nous nous donnons les moyens psychologiques de sauter par-dessus les blocages contemporains, nous retrouvons désir et capacité à penser un monde nouveau constitué sur des bases diff érentes. À l’opposé des débats habituels, cet eff ort d’imagination permet de raconter d’autres histoires, de commencer à décrire les contours d’une société qui ne sera ni sectaire, ni autoritaire, ni libertarienne. Mais cette société de demain ne sera pas fi gée : elle sera traversée par d’autres tensions, d’autres questionnements. L’ensemble des textes qui composent cet ouvrage ne s’inscrit pas dans l’idée de proposer un modèle prêt-à-l’emploi de la société idéale. La transition n’est pas le basculement soudain d’un état, décrié, à un autre, idéalisé. La diversité des auteur-e-s et de leurs approches est donc un choix délibéré qui permet de ne pas faire fi des blocages, des tensions, des mouvements qui agiteront nos vingt prochaines années face aux choix qui devront être faits.

En nous donnant des aperçus d’une société structurée, viable, avec des objectifs à long terme et une gestion du temps long, les auteur-e-s redonnent crédibilité à la notion de projet. En ces temps d’urgence, n’est-il pas, justement, nécessaire de prendre le temps d’imaginer de quoi demain pourrait être fait ? En 2035, vingt ans après la Conférence de Paris, ce qui aura émergé, c’est un mouvement, une dynamique, qui peuvent nous porter vers un autre système de vie et de pensée. En fi n de compte, ce sont bien les processus engagés qui rendent les transformations possibles.

 

Dès aujourd’hui, la Fondation de l’Écologie Politique vous invite à prendre part à cette aventure et vous donne rendez-vous sur son site internet pour imaginer et construire, collectivement, le monde de demain à + 2°C.

 

Tout au long de l’année 2015

 

Tout au long de l’année 2015, vous pourrez proposer vos textes, anticiper les questionnements et avancer des solutions, pour continuer cette collection d’essais de prospective climatique – optimiste – et participer, d’ici décembre 2015, à la construction d’un scénario de transformation collaboratif.

 

PARIS CLIMAT 2015 : 20 ans après est à vous !