- PARIS CLIMAT 2015-2035
Préface
Par Pascal CANFIN
Cette collection d’essais réalisée par la Fondation de l’Écologie Politique et la Green European Foundation fait du bien ! Imaginer, un quart de siècle après la conférence climat qui se tiendra à Paris en décembre 2015, les évolutions de notre société, ouvre des perspectives enthousiasmantes et démontre que les décisions d’aujourd’hui peuvent changer notre avenir.
Les sujets abordés par les différentes contributions qui composent cette collection – la place que nous réservons au vivant, nos modes de consommation et de production, la gouvernance tant des États que des entreprises, les conséquences sociales du changement climatique et l’engagement citoyen – sont multiples. Pourtant, les auteurs qui se sont livrés à cet exercice de prospective climatique, provenant d’horizons très différents et sans se consulter au préalable, nous livrent finalement une analyse assez homogène : la réponse au changement climatique ne se résume pas au changement du modèle énergétique. Elle implique l’engagement de tous les secteurs de la société qui, pour évoluer de façon efficace, doivent impérativement prendre en compte les demandes, et parfois les contraintes, des autres. Résoudre l’équation climatique impose de prendre pleinement en compte notre interdépendance.
Pour ouvrir cette publication prospective, il m’a été demandé de rappeler le contexte présent, et les conditions de la réussite de la Conférence de Paris, rappel qui, je l’espère, ne sera pas trop rude. En effet, cette conférence suscite beaucoup d’espoirs, mais aussi une certaine lassitude. Pourquoi cette fois serait-elle différente de Copenhague qui s’était soldée par un échec ? Que peut-on attendre réellement de la Conférence de Paris ?
L’objectif ultime de la COP21 doit être de nous ramener sur une trajectoire compatible avec les + 2°C, limite établie par les scientifi ques du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) et au-delà de laquelle le système climatique atteindra des points de non retour. Il faut toujours rappeler que dans le scénario noir du GIEC, la dégradation climatique peut aller jusqu’à + 7°C à la fi n du siècle, soit un écart de températures supérieur à celui qui sépare notre climat de celui de la dernière période glaciaire… Et il n’y a ici aucun « catastrophisme » ! Juste le rappel du consensus scientifique mondial… C’est donc à cette première aune qu’il faudra juger le résultat de la Conférence de Paris.
Le deuxième « juge de paix » sera pour moi la capacité à honorer la promesse de Copenhague, à savoir transférer 100 milliards de dollars par an, à partir de 2020, pour aider les pays les plus vulnérables à développer un modèle moins dépendant des énergies fossiles et adapter leurs modes de vie et leurs infrastructures aux effets – déjà trop présents – du changement climatique. Il n’y a en effet aucune raison pour les responsables des pays du Sud d’accepter un accord si les pays du Nord ne disent pas comment – et de manière crédible – ils vont honorer cet engagement.
Que veut dire un accord contraignant ?
Se pose bien sûr la question de la forme juridique de l’accord de Paris. L’engagement de la communauté internationale est de rechercher un accord légalement contraignant. Mais l’on sait déjà qu’un accord international légalement contraignant n’a, politiquement, aucune chance d’être ratifi é par le Congrès américain où les Républicains sont (malheureusement) majoritaires. L’un des enjeux de Paris est donc d’éviter le scénario de Kyoto où, en 1997, les États-Unis avaient signé un traité sans l’appliquer ensuite, restant ainsi en dehors de tout engagement climatique. Il est essentiel que « l’Accord de Paris » soit universel – c’est à dire qu’il couvre tous les grands émetteurs y compris les pays émergents. Or, le caractère universel de l’accord, compte tenu de la situation politique aux États-Unis, semblerait incompatible avec son caractère légalement contraignant sur le plan international. Mais regardons de plus près ce que « légalement contraignant » veut dire. Le Protocole de Kyoto est légalement contraignant. Le Japon en est sorti en 2010. Et il ne lui est juridiquement rien arrivé. Le Canada en est sorti en 2011. Et il ne lui est juridiquement rien arrivé. Faute d’une sorte de « Cour internationale du climat », qui serait hautement souhaitable mais qui n’est aujourd’hui pas à l’ordre du jour, le caractère « contraignant » sur le plan international est très relatif.
Reste la contrainte domestique, c’est-à-dire les lois nationales et les tribunaux nationaux en cas de non respect de la loi. C’est là un point de compromis possible: annoncer à Paris des engagements chiffrés qui détaillent les mesures à prendre sur le plan législatif pour y parvenir et mettent en place des mécanismes internationaux de vérifi cation et de transparence. C’est dans cet esprit que la pression internationale peut tirer l’accord vers le haut. Et l’on sait par exemple que les États-Unis peuvent prendre un engagement de réduction d’émissions allant jusqu’à moins 30-33 % – soit au delà des annonces déjà faites à hauteur de 26-28 % – en utilisant des moyens législatifs qui n’impliquent pas de passer par un vote du Congrès.
Le Pacte de Paris
Mais l’addition des engagements chiffrés des États, que l’on connaitra pour l’essentiel au plus tard au premier trimestre 2015, ne suffi ra sans doute pas à maintenir le réchauffement climatique sous la barre des + 2°C.
Il faut considérer la dynamique de Paris non pas seulement autour de l’accord onusien mais aussi en y intégrant tous les engagements qui pourront être pris par d’autres acteurs que les États, au premier rang desquels se trouvent bien sûr les collectivités locales et les entreprises.
Il va de soi que du côté des entreprises le risque de greenwashing est très élevé. Il peut être limité par une disposition simple : les engagements pris par les entreprises ne pourront être reconnus par les Nations unies que s’ils s’intègrent dans une démarche de transparence et de redevabilité. Ainsi une entreprise qui annoncerait un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre chiffré, mais qui refuserait d’intégrer le dispositif commun d’évaluation, perdrait beaucoup de crédibilité !
Enfin, l’enjeu du changement climatique est tel, que le pacte de Paris - c’est à dire l’accord onusien et tout ce qui pourrait s’y ajouter – doit intégrer des engagements qui prendront des formes nouvelles. Ainsi, l’agence de notation Standard & Poor’s a annoncé qu’avant la Conférence de Paris, elle intégrera dans la notation de toutes les entreprises cotées en bourse leur exposition au risque climatique. Voilà une annonce qui, si elle est sérieusement mise en oeuvre, révèle un changement culturel très profond. Je me souviens avoir déposé en 2011 au Parlement européen un amendement à la directive encadrant les agences de notation pour y intégrer justement l’obligation de noter l’impact du « risque climat » sur le modèle économique de chaque entreprise. Les écologistes furent bien seuls à l’époque à défendre cette idée ! Et aujourd’hui, la première agence de notation financière du monde le fait de manière volontaire en disant explicitement : « le risque est trop important pour qu’on continue à l’ignorer ! ».
Une bataille entre deux mondes
La Conférence de Paris est une nouvelle « bataille de Paris ». Une bataille entre deux mondes. D’un côté, celui des gaz de schiste, des 1 000 milliards de dollars de subventions publiques annuelles aux énergies fossiles, du milliard de dollars versé chaque année par les lobbys climato-sceptiques aux États-Unis… De l’autre, le monde qui constate que dès aujourd’hui, en Inde, les énergies renouvelables sont moins chères que les énergies fossiles – même sans subventions publiques – et que la seule façon d’assurer la paix et la prospérité de demain est de lutter dès aujourd’hui contre le dérèglement de notre climat.
Cette bataille ne se gagnera pas sans la société civile. C’est pourquoi le rôle des écologistes français et européens sera aussi de faire en sorte que pendant la COP21, la marche citoyenne qui sera organisée soit la plus grande marche jamais réalisée dans le monde sur les sujets environnementaux. Après les 400 000 personnes de New-York en septembre dernier nous devons viser entre 500 000 et un million de marcheurs à Paris en 2015. C’est un travail militant considérable mais tellement excitant ! Et il commence aujourd’hui !