Cet article est la version française d’un article paru dans un dossier spécial du Green European Journal intitulé «The Green Democratic Reboot». Il est accessible dans sa version originale ici: Beyond Political Parties.
La ‘radicalité démocratique’ comme élément constitutif du projet écologiste. Cette spécificité, mise en exergue dans le livre de Benoît Lechat Ecolo. La démocratie comme projet., ne prémunit évidemment pas les partis écologistes de développements ou logiques contraires à cette “exigence démocratique”. Elle constitue néanmoins une composante progressiste de leur patrimoine qui peut sans cesse être réactivée et qui engage la responsabilité des individus.
Castoriadis figure parmi les premiers à avoir détecté le potentiel émancipateur, aussi bien pour les individus que pour les sociétés, propre à l’écologie politique. Il situait l’écologie dans l’espace de l’autonomie conçue comme une forme d’auto-gouvernement de soi-même intimement lié à une conscience aigüe des limites. L’autonomie fait appel à la conscience critique qui débouche sur une remise en question fondamentale des modes de consommation et de production imposés. L’autonomie apparaît dès lors comme une dissidence féconde de la pensée et des comportements par laquelle les individus se réapproprient leur vie tout en se retrouvant dans un “destin” commun.
La pensée écologiste a incontestablement élargi notre vision du monde et transformé notre vécu. Elle a su prendre en compte la complexité et le pluralisme caractéristiques des sociétés contemporaines. Elle a également réhabilité le futur dans la temporalité politique en tant que moment constitutif du présent.
En structurant un projet de société spécifique ouvert à l’adhésion libre et critique des individus, l’écologie politique participe à la formation des “utopies plausibles” amenées à se déterminer au sein de l’espace politique démocratique.
L’ambition démocratique et la consistance argumentative de l’écologie politique plaident sans aucun doute en sa faveur. Mais force est de constater que celles-ci ne convainquent que partiellement. Du moins si l’on s’en tient à leur impact en termes électoraux puisque les partis écologistes ne sont pas en mesure d’infléchir de manière déterminante les politiques menées par les partis se partageant le pouvoir.
Le discours écologiste, quand il ne cherche pas à mimer le conformisme des partis majoritaires est sans aucun doute complexe. Et je dirais qu’il l’est peut-être d’autant plus aujourd’hui que la conjoncture est peu propice à l’innovation politique, à l’émancipation ou aux visions progressistes. Il suffit de regarder les tendances au niveau européen pour mesurer le degré de rétraction idéologique et le succès des partis conservateurs. Même si la montée du conservatisme en Europe n’attire pas ou peu l’attention, elle est bien réelle. Celle-ci est d’autant plus silencieuse que celle des partis extrémistes occupe le devant de la scène. Souvent complaisants à l’égard des rhétoriques ouvertement réactionnaires -quand ils ne la récupèrent pas directement dans leur propre discours- les partis conservateurs séduisent sans doute aussi par leur projet européen minimaliste. Et il est d’ailleurs intéressant de noter que leur version renationalisée de l’Union européenne est souvent brandie pour se différencier et disqualifier les souverainistes en tout genre. Ce jeu d’opposition subtil est pour le moins désarçonnant. C’est ainsi qu’au niveau européen, se crée peu à peu une “complémentarité monstrueuse” entre un conservatisme conformiste acceptable et un conservatisme extrémiste nauséabond qui rétrécissent toujours plus l’espace des discours un tant soit peu éclairés.
Inutile de dire qu’il devient de plus en plus difficile pour les écologistes d’argumenter en faveur d’une Union européenne structurée selon les valeurs de l’Etat de droit démocratique et dont la légitimité découlerait de sa capacité à démocratiser la mondialisation sans que les uns ne les relèguent dans le camp des extrémistes aux utopies irresponsables ou que les autres ne cherchent à les réduire au conformisme des partis majoritaires. Cette tension s’est illustrée en juillet 2013 à propos du cadre financier pluriannuel 2014-2020. Avec l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, le parlement européen avait pour la première fois le pouvoir de défendre un budget européen qui réponde à l’intérêt des Européens. Tous s’accordaient pour dire que le budget défendu par les Etats ne répondait pas aux crises économique et sociale qui ébranlent littéralement le continent. Mais au moment du vote, les trois partis majoritaires (Conservateurs, socialistes et libéraux) ont fini par accepter un budget européen conservateur défendu notamment par le Britannique Cameron… Et il est évident que face à une telle vague, l’opposition du groupe des Verts, qui pèse pour moins de 8% au sein du Parlement européen, a été laminée.
Trop souvent, nous oublions que le projet européen, par définition, peut exister selon diverses déclinaisons. Ce projet est loin d’avoir exprimé tout ce que son potentiel a de prometteur à mes yeux. Je dirais même qu’il s’affirme aujourd’hui selon la pire de ses expressions possibles. L’Union européenne, dans la mesure où elle relève du « projet politique » n’est ni donnée ni univoque. Sa morphologie actuelle est le produit de l’interaction entre les forces politiques au pouvoir qui actualisent un projet européen – et plus globalement un projet de société- qui leur est propre. La rengaine du “there is no alternative” a sans aucun doute ses adeptes dans les milieux politiques, mais il est utile de rappeler qu’elle n’a rien d’une vérité immuable. Elle n’est ni plus ni moins un argument d’autorité quel que soit le degré de conviction avec lequel il est prononcé.
La démocratie bien comprise est « un risque partagé » entre les forces politiques et les citoyens. « La » proposition unidimensionnelle susceptible de résoudre tous les problèmes et de répondre à toutes les questions n’existe pas. Ce que je trouve particulièrement inquiétant aujourd’hui, c’est le déclin du pluralisme, y compris au niveau idéologique. La grammaire politique contemporaine est incroyablement pauvre. La pensée politique est devenue monochrome et s’accommode du simplisme des logiques binaires y compris dans nos propres rangs.
Certains se complaisent à dénoncer la crise de légitimité au niveau européen sans réaliser qu’elle est en réalité plus profonde. Cette crise qui touche les institutions européennes est en quelque sorte une amplification de celle qui concerne depuis longtemps l’ordre politique national. La défiance à l’égard des institutions démocratiques représentatives et de la caste politique devrait donc particulièrement retenir notre attention. Elle nous oblige à repenser le domaine d’extension du politique et, entre autres, le rôle des partis dont le fonctionnement et le traditionalisme ne répondent plus aux attentes des individus. Les partis politiques, quand ils ne sont pas simplement des machines servant à asseoir le pouvoir des uns et des autres, fonctionnent le plus souvent hors-sol. Et l’expérience nous montre à quel point les appareils peinent à se réformer spontanément. Nombreux sont les individus qui, à juste titre, refusent de s’enfermer dans des structures rigides. Leurs engagements ponctuels, la sélection de leurs batailles politiques ne se traduisent pas automatiquement en un besoin de rejoindre une organisation précise ni de se dédier à un parti. Les partis écologistes gagneraient par conséquent à entamer un processus ouvert de transformation pour devenir des structures perméables à la vie.
Alors que je me prépare à quitter la scène de la politique institutionnelle, j’ai l’impression que nous devons revenir à des questions à première vue élémentaires, mais qui sont en réalité essentielles : Quelle est la finalité du politique? Quel est le projet de société qui anime les différentes formations politiques? Jusqu’où acceptent-elles de les élucider et de les confronter dans le débat public? Dans quelle mesure les partis reconnaissent-ils le rôle des individus dans l’élaboration de leur projet politique? Jusqu’où va notre ambition démocratique?
Ayons “l’impertinence” de remettre la “démocratie” au centre du projet politique même si, et avant tout parce qu’elle vient déranger les pratiques coutumières des partis. Cette prise de risque me semble nécessaire si nous voulons renforcer l’esprit progressiste, la maturité politique des sociétés et renouer avec la vitalité du pluralisme.