Compte-rendu d’Ethique et Entreprise de Cécile Renouard (Les Editions de l’Atelier, 2013), par Lucile Schmid.
La Fondation de l’Ecologie Politique vous propose d’assister mardi 17 décembre à une rencontre-débat avec Cécile Renouard et François Vallaeys autour de la responsabilité sociale et environementale. Rendez-vous à 18h30 au Comptoir Général, 80 Quai de Jemmapes, Paris 10e.
Dès l’introduction de cet essai Cécile Renouard place les entreprises au centre de nos existences. En tant qu’acteurs de la cité, celles-ci organisent en effet la vie de nos sociétés tant au niveau national qu’international, et occupent aujourd’hui un espace et des pouvoirs autrefois réservés aux Etats. Pour l’auteure, cette amplification doit conduire à donner à l’interrogation éthique autour du rôle de l’entreprise une nouvelle force.
L’éthique et son vecteur privilégié au sein des entreprises, la responsabilité sociale et environnementale (RSE), ne peuvent en effet être un simple supplément d’âme d’activités lucratives mondialiséees. L’objectif doit être la fondation d’un nouveau modèle économique, écologique et social où la finalité de l’activité économique sera profondément redéfinie.
De l’emballement de l’économie financiarisée au changement de modèle socio-économique
C’est en revenant sur les multiples visages de l’entreprise mondialisée que Cécile Renouard nous fait percevoir l’importance de la création d’un lien réel et profond entre éthique et entreprise. Car ces entreprises, ‘mondialisées, financiarisées, se voulant vertueuses, nocives, détentrices d’un pouvoir politique, prédatrices..’, sont à la fois omniprésentes et déterminantes dans la conduite des affaires et des comportements humains. Si elles continuaient d’être guidées par l’objectif du seul profit (‘business as usual’), alors c’est tout à la fois l’avenir de notre planète et celui des générations futures qui seraient compromis.
La charge de Cécile Renouard contre l’utilisation superficielle de l’éthique est vigoureuse; elle n’hésite pas à qualifier de ‘mal social par omission’ notre inertie sur le plan écologique, l’asservissement au confort matériel ou toutes les formes d’aveuglement par rapport à la montée des inégalités et aux violences sociales. Sans se dissimuler la difficulté d’un changement des manières de faire et de penser au sein des entreprises, sans ignorer les tensions fortes qui ne peuvent qu’être créées par une évolution…elle trace une définition exhaustive des responsabilités qui leur incombent: économique et financière, sociale et sociétale, environnementale, et politique enfin. Il y a là un débat essentiel pour notre siècle, qui avait déjà marqué les origines de la pensée utilitariste. Autour de l’évocation de Bentham, Smith ou Stuart Mill, Cécile Renouard nous rappelle l’ambivalence initiale de ces auteurs par rapport à la question du profit, et particulièrement leur attention aux questions de justice. Car, tout en mettant l’accent sur l’accroissement du bien être et de la richesse globale, la pensée utilitariste, prend en compte la recherche de l’équité dans la société. Dans ses développements le capitalisme oubliera cette interrogation initiale, et la recherche du profit, comme la loi du marché, vont progressivement l’emporter pour conduire aux emballements de l’économie financiarisée.
Pour y échapper, le choix d’un changement de modèle est la seule issue. Pour Cécile Renouard, il doit s’opérer à partir de l’affirmation que l’activité économique (et celle de l’entreprise en particulier) doit être réorientée vers une finalité écologique et sociale. Cette affirmation trouve sa force initiale dans la démonstration que l’entreprise, loin d’être la propriété des actionnaires, n’appartient à personne et que des possibilités juridiques existent pour une autre définition de ce qu’elle est et représente. L’évocation du secteur de l’économie sociale et solidaire illustre ainsi l’existence d’un secteur aux méthodes démocratiques et participatives qui, s’il représente près de 10% des salariés, reste ‘à côté’ du capitalisme classique. Surtout l’entreprise est en définitive pour l’auteure, une institution politique dont il convient d’éclairer les responsabilités à l’aune de sa finalité écologique et sociale. Le rôle des syndicats et des comités d’entreprises, la définition d’une responsabilité pénale des dirigeants financiers en découlent. C’est aussi dans cette conception que l’Union européenne a puisé les fondements d’une nouvelle définition de la RSE autour de la notion de maitrise d’impact. La RSE y est désormais définie comme ‘la responsabilité des entreprises vis à vis des effets qu’elles exercent sur la société’.
Responsabilité d’entreprise et biens communs
Pour mieux nous faire comprendre ce que peut être cette finalité écologique et sociale, Cécile Renouard détaille les différents éléments du développement humain au travail. En proposant une approche reposant sur une construction de la personne en termes de capacités relationnelles, elle définit d’abord le lien qui doit exister entre aptitudes relationnelles individuelles et collectives, et dans la foulée se penche sur le type d’organisation sociale et politique le plus susceptible d’optimiser les capacités relationnelles collectives et de favoriser l’épanouissement humain. C’est dans cette perspective qu’il faut repenser l’entreprise et le travail comme lieu d’affiliation. Management en réseaux, reconnaissance des valeurs de gratuité et de désintéressement, lutte contre les inégalités de statut, mobilité choisie sont quelques unes des caractéristiques de cet environnement professionnel.
L’auteure peut alors tracer les grandes lignes de l’entreprise qu’elle appelle de ses voeux autour du lien entre responsabilités d’entreprise et biens communs. Il s’agit d’abord de repenser la notion de valeur, non plus en termes de valeur marchande mais de valeur relationnelle. C’est l’utilité sociale du bien ou du service qui est première, la profitabilité n’étant qu’une condition de sa pérennité. A ces éléments, Cécile Renouard ajoute la prise en considération de critères minimaux de dignité de la personne et le caractère non négociable de la contrainte écologique. Qu’il s’agisse de partager les profits, de prendre soin, de ne pas nuire, de coopérer, ou de donner, son approche vise à dessiner les contours de la contribution nette de l’entreprise à la société par l’exercice de ses différentes responsabilités sociale, financière, environnementale, ou politique. Plusieurs propositions sont avancées pour mesurer la responsabilité: seuil de contribution fiscale, note ‘d’égalité salariale’, empreinte carbone, respect des critères de l’organisation internationale du travail sur le ‘travail décent’. S’y ajoutent les premiers éléments d’une démarche de construction opérationnelle de ce nouveau projet au travers d’une méthodologie prévoyant le repérage des tensions, les options possibles, les décisions et la mise en oeuvre du changement dans l’entreprise.
Il n’est pas neutre que Cécile Renouard ait choisi d’achever cet essai précis, documenté et audacieux sur la question de l’entreprise et de la vie spirituelle. En concluant sa démonstration de cette manière, elle nous indique que le changement qu’elle préconise et illustre avec une grande aisance dans ses dimensions philosophiques et concrètes, est d’abord un acte de foi, et un pari. Acte de foi avec le rappel de la citation de Gandhi ‘Sois le changement que tu veux pour le monde.’ Pari sur les qualités humaines, le refus de la cupidité, de la jalousie, et du conformisme. Pari sur une société de confiance et de conscience où la veille éthique nous préserve du flux des événements. Faut-il le rappeler Ethique et entreprise s’inscrit dans la collection ‘Pourquoi les chrétiens ne peuvent pas se taire’. Et prend place aux côtés d’essais portant sur l’immigration, l’illusion financière, l’extrême droite ou la fin de vie.
Lucile Schmid est vice-présidente de la Fondation de l’Ecologie Politique
Vidéo de Cécile Renouard présentant ‘Ethique et entreprise’ dans l’émission ‘Les matins de France Culture‘ le 5 novembre 2013.
Les matins – Economie sociale et solidaire : l… par franceculture
Intervention radiophonique de Cécile Renouard sur ‘Peut-on parler d’éthique en économie?‘ dans l’émission ‘Les Carnets de l’économie’ sur France Culture, du 28 au 31 octobre 2013.
Cécile Renouard est membre du Conseil de surveillance de la Fondation de l’Ecologie Politique