Cet article est la version française d’un article paru dans un dossier spécial du Green European Journal intitulé « Finding Common Ground ». Il est accessible dans sa version originale ici: Cosmic Bonanza – Mining in outer space.
La fin de la pénurie serait-elle en vue ? Des sociétés états-uniennes se préparent à exploiter une source intarissable de matières premières, les corps célestes. Mais l’extraction minière dans l’espace extra-atmosphérique est aussi source de conflits car les biens communs mondiaux de l’espace sont « clôturés », une répétition des schémas d’appropriation des ressources de notre propre planète.
Pour trouver un vrai esprit pionner, les Etas Unis reste the place to be. En 2015, le président Obama a promulgué un projet de loi relatif à l’activité minière spatiale. En vertu du Space Resource Exploration and Utilization Act1, les entreprises américaines sont à présent autorisées à extraire des matières premières sur des planètes, lunes, et autres corps célestes. Cette loi garantit aux sociétés la propriété des matières qu’elles extraient.
Le Space Act est entré en vigueur à la suite du lobbying d’un groupe d’entreprises qui ont décidé de concentrer leurs activités sur l’extraction minière spatiale. Elles portent les noms de Moon Express, Planetary Resources, et Deep Space Industries. Elles conçoivent des engins spatiaux et des robots destinés à des missions d’exploitation minière inhabitées et bénéficient du soutien d’investisseurs aux poches bien garnies. Larry Page, cofondateur de Google et milliardaire, compte parmi les financiers de Planetary Resources.
Moon Express fait la course en tête. En 2016, l’administration américaine lui a accordé l’autorisation de procéder au premier alunissage à visée commerciale. Cette mission d’exploration lunaire est prévue pour 2017. D’ici une dizaine d’années, Moon Express veut être en mesure de ramener des matières premières sur terre et de les vendre.
Mais nos mineurs de l’espace portent leurs regards vers les astéroïdes, ces innombrables débris rocheux et métalliques qui orbitent autour du soleil. Justement, l’orbite de certains d’entre eux les fait passer à proximité de la terre. Sur leur surface, on peut trouver de fortes concentrations de métaux assez rares dans la croûte terrestre, comme le platine. Un astéroïde d’une centaine de mètres de diamètre peut abriter pour des milliards d’euros de métaux précieux. La gravité négligeable de ces planétoïdes leur donne un avantage de taille par rapport à la lune : il faut beaucoup moins de carburant pour y atterrir en douceur et pour redécoller.
Dans le sillage des États-Unis, les Émirats Arabes Unis et le Luxembourg élaborent actuellement une législation en matière d’activité minière spatiale. Avec l’entrée en déshérence des combustibles fossiles et de l’évasion fiscale, ces deux pays sont à la recherche de nouveaux modèles et débouchés commerciaux. En 2016, le gouvernement luxembourgeois a annoncé le déblocage de deux cents millions d’euros pour le développement des technologies d’extraction minière spatiale. Deep Space Industries et Planetary Resources ont décidé de créer une filiale au Grand-Duché, non seulement pour recueillir des deniers publics, mais aussi pour asseoir leur légitimité. Disons-le tout net, l’American Space Act prête à controverse.
Tragédie
L’unique « Constitution » qui se rapporte à l’espace est le Traité sur l’espace extra-atmosphérique de 1967. Ce texte des Nations Unies déclare que l’espace et tous ses corps célestes sont l’apanage de l’humanité toute entière et interdit aux pays de se les approprier. Le Space Act états-unien semble aller à l’encontre de ce Traité. Comment un pays peut-il accorder la propriété des ressources d’un astéroïde à une entreprise s’il n’est pas propriétaire de l’astéroïde ?
Le sous-comité juridique du Comité des Nations Unies pour l’utilisation pacifique de l’espace extra-atmosphérique n’a pas manqué de tirer à boulets rouges sur le Space Act en 2016. La Russie, quant à elle, a affirmé que toutes les ressources de l’espace ressortissent à la clause de non-appropriation et a qualifié la loi états-unienne d’inacceptable, une position adoptée par la Belgique également. La législation nationale n’est pas une solution à l’absence de règles internationales, a déclaré le représentant belge. « Voulons-nous vraiment une situation où le premier arrivé est le premier servi, où certains pays ferons main basse sur des ressources tandis que les autres n’auront plus qu’à ramasser les miettes ? »
« Le point problématique est que le Traité sur l’espace extra-atmosphérique n’interdit ni n’autorise l’appropriation des ressources », explique Tanja Masson-Zwaan, qui enseigne le droit spatial à l’Université de Leiden. « À côté de l’interdiction sur l’appropriation des corps célestes, il y a aussi une autre disposition : les pays sont libres d’utiliser l’espace. Personnellement, j’en déduis que le Space Act ne contrevient pas au Traité sur l’espace extra-atmosphérique. En effet, de par cette loi, les États-Unis respectent une condition essentielle du Traité : les activités privées dans l’espace nécessitent l’approbation et la supervision d’un État. »
Les partisans du Space Act établissent souvent une analogie avec la pêche dans les eaux internationales. Même si personne n’est propriétaire de la haute mer, les pays sont autorisés à y pêcher du poisson. Mutatis mutandis, chaque pays devrait être libre d’extraire des matières premières dans l’espace. Pour l’expert spatial Erik Laan, cette comparaison est dénuée d’à-propos. « La pêche libre a généré la surpêche et des conflits. Au bout du compte, les pays ont été contraints de signer de nombreux traités de pêche. N’oublions pas non plus que le poisson est une ressource naturelle renouvelable : si vos prises ne sont pas trop importantes, les stocks restent stables. En revanche, les matières premières dans l’espace ne sont pas renouvelables : les stocks dans lesquels vous prélevez ne peuvent pas être réapprovisionnés. Je préfèrerais comparer l’espace aux fonds marins. »
Depuis 1994, l’extraction des minéraux des fonds marins situés dans les eaux internationales est placée sous la supervision de l’Autorité internationale des fonds marins. Cet organe accorde des licences aux entreprises et doit veiller à ce que tous les pays tirent parti des ressources extraites. Bien que les projets d’extraction minière en eaux profondes se heurtent à la résistance des défenseurs de l’environnement, la partie de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNDUM) qui prévoit la création de l’Autorité internationale des fonds marins témoigne d’une pensée progressiste. Elle intègre le principe du « patrimoine commun de l’humanité ». Cela signifie que les biens communs mondiaux comme les fonds marins ne peuvent être la propriété de personne et doivent être gérés par la communauté internationale ; les ressources extraites doivent être partagées entre tous les pays et les biens communs doivent être transmis aux générations futures en bonne condition. Tout cela a pour but de prévenir une « tragédie des biens communs », c’est-à-dire la situation où des ressources collectives sont épuisées en raison de leur surexploitation.
Une juste part
Nous en sommes réduits à souhaiter qu’un tel traité existe pour l’espace, ce qui est le cas, mais il est resté lettre morte. En 1979, le Traité sur la Lune a défini la lune et tous les autres corps célestes comme le patrimoine commun de l’humanité. Il prévoit une interdiction explicite de l’appropriation des ressources. Il impose un « régime international » à mettre en place pour la gestion des ressources et le partage des avantages. Hélas, les puissances spatiales comme les États-Unis et la Russie ont fait volte-face devant cet accord où chacun a droit à sa juste part. Elles n’ont pas apposé leur signature au Traité sur la Lune. Seize pays seulement l’ont ratifié, dont les Pays-Bas, la Belgique, et l’Autriche.
« Vu le peu de soutien dont il bénéficie, le Traité sur la Lune ne peut pas être considéré comme faisant partie du droit international coutumier. Il n’est contraignant que pour les pays qui y sont parties », explique Tanja Masson-Zwaan. « Les Pays-Bas s’efforcent de relancer le Traité tout en recherchant des solutions alternatives. C’est pour cette raison que nous avons fondé le The Hague Space Resources Governance Working Group 2, auquel participent des universités, des gouvernements, des sociétés d’exploitation minière spatiale, et une ONG. Tous ensemble, nous essayons de formuler les éléments de base susceptibles de donner corps à des règles internationales en matière d’extraction minière dans l’espace. Ces règles pourront être fixées plus tard dans un nouveau traité, mais dans le cadre de lignes directrices non contraignantes également. Si un nombre suffisant de pays intègre ces lignes directrices dans leur législation, elles pourront acquérir le statut de droit international coutumier et contraignant. Même le gouvernement des États-Unis serait ouvert à cette discussion. Il a accepté que le comité spatial des Nations Unies consacre un point distinct de son ordre du jour à l’extraction minière spatiale en 2017. »
Conflits
Même les optimistes les plus irréductibles sont d’avis qu’il faudra encore une décennie avant que l’extraction minière dans l’espace ne devienne réalité. Tant pour Tanja Masson que pour Erik Laan, il reste assez de temps pour élaborer des règles internationales. Mais l’histoire de l’Autorité Internationale des Fonds Marins montre que le temps presse, soutient Bas Eickhout, un député vert néerlandais au Parlement européen. « La communauté mondiale a mis vingt-cinq ans pour accorder ses violons sur l’Autorité des Fonds Marins. Les États-Unis ne reconnaissent toujours pas ses prérogatives. Nous devons empêcher que l’espace ne devienne une nouvelle pomme de discorde sur la scène politique mondiale. C’est pourquoi j’ai demandé à la Commission européenne de s’atteler à la rédaction d’un moratoire sur l’extraction minière dans l’espace. Un tel moratoire est déjà en place pour l’Antarctique. »
Mais au fond, l’abondance des ressources spatiales n’est pas telle qu’il est inutile de nous quereller à leur propos ? L’astrophysicien américain Martin Elvis a publié en 2014 quelques calculs pour le moins révélateurs. En se basant sur la taille, la composition et l’orbite des astéroïdes connus, il a estimé que seuls dix astéroïdes proches de la terre pourraient se prêter à l’exploitation rentable du platine et des métaux associés.
« Ce chiffre de dix est à prendre comme un minimum, explique Erik Laan, car nous découvrons toujours plus d’astéroïdes. Mais nous avons de bonnes raisons de craindre des conflits. Un astéroïde lucratif qu’il est possible d’atteindre depuis la terre pourrait devenir l’enjeu d’une compétition. Si deux gouvernements autorisent deux entreprises à exploiter le même astéroïde, nous aurons un conflit spatial qu’il ne serait possible de prévenir qu’au moyen de règles internationales. »
Pour Bas Eickhout, il faudrait aussi éclaircir d’autres problématiques, pas seulement celle de la propriété des matières extraites dans l’espace extra-atmosphérique. « Comment faire pour empêcher que des corps célestes ne soient infectés par des microbes terrestres ? Qui nettoiera les débris spatiaux en cas d’accident ? Les compagnies minières sont-elles autorisées à modifier l’orbite d’un astéroïde pour le rapproche de la terre ? Méfions-nous d’une ruée vers l’or spatiale. Restons bien conscients que l’exploitation minières dans l’espace ne résoudra les problèmes les plus pressants sur terre, comme le changement climatique. »
Rareté
Si l’humanité devait déclarer prématurément la fin de la rareté, placer un excès de confiance dans l’exploitation minière de l’espace pourrait engager la terre dans une mauvaise direction. Dans une vidéo sophistiquée de 2013, Deep Space Industries affirme : « Notre monde se trouve à ses limites et nous en voulons tous plus. Alors pourquoi pas ? Notre planète minuscule baigne dans un océan de ressources. » L’exploitation minière de l’espace deviendra-t-elle une excuse pour perpétuer le mode de vie occidental et son gaspillage ?
Pour Erik Laan, il vaut mieux se méfier du marketing. « Depuis lors, Deep Space Industries a admis qu’elle ne ramènera pas de matières premières sur terre. Les ressources spatiales seront surtout utilisées dans l’espace lui-même. »
Les coûts nécessaires pour lancer de la matière dans l’espace depuis la terre sont très élevés. Des millions de kilomètres pourraient être parcourus dans le cosmos avec l’énergie qu’il faut pour échapper à la gravité terrestre. C’est pourquoi il est tentant de construire des vaisseaux spatiaux et des stations spatiales en utilisant des métaux extraterrestres. Le carburant des engins spatiaux peut aussi être produit dans l’espace, à partir de l’eau qui se trouve sur les astéroïdes et en recourant aux rayons solaires. Pour l’instant, c’est là que résident les principales opportunités de nos mineurs de l’espace.
À plus brève échéance, selon Erik Laan, seul le rhodium est assez cher pour qu’il vaille la peine d’être extrait d’un astéroïde et ramené sur terre. « Cela pourrait être faisable d’ici une dizaine d’années. Ce métal proche du platine est très rare dans la croûte terrestre et difficile à extraire. Il est utilisé dans de nombreuses applications difficilement remplaçables, notamment dans les technologies propres. Le prix du rhodium a déjà atteint 200.000 euros par kilogramme à certaines périodes. »
Assurance
Dans le film de science-fiction Interstellar, sorti en 2014, les voyages spatiaux sont à l’arrêt en raison de l’immense fardeau qu’ils représentent pour les ressources déjà épuisées de la terre. Un scénario qui n’a rien de réjouissant. Même si l’exploitation minière spatiale ne peut pas résoudre le problème de la rareté, elle ouvre une perspective intéressante : un secteur spatial autosuffisant en matières et en énergie.
L’exploration spatiale nous fournit de précieuses connaissances sur les origines de l’univers, de la terre, et de la vie. De plus, les voyages spatiaux sont une police d’assurance pour le cas où notre planète deviendrait inhabitable. Ce cas de figure ne serait pas forcément le fait de la race humaine ; une météorite pourrait frapper notre planète ou un supervolcan pourrait entrer en éruption. En essaiment dans notre galaxie, nous pourrions tout du moins protéger partiellement les générations futures, les personnes et d’autres espèces, d’une catastrophe cosmique. Si cet objectif nous semble digne d’être poursuivi, pouvons-nous nous permettre de balayer d’un revers de main l’extraction minière dans l’espace – à condition qu’elle soit encadrée par des règles visant à empêcher tant une tragédie qu’une appropriation des biens communs du cosmos ? Ou bien faut-il se résigner au fait que les œuvres de Shakespeare, la théorie de la relativité, l’amitié et l’amour périssent un jour corps et biens ?
Glossaire :
Matières premières spatiales
Pendant la formation de notre planète, la gravité a entraîné de nombreux métaux vers son noyau. Leur présence dans la croûte terrestre est très aléatoire. Par contre, ces métaux affleurent à la surface de nombreux astéroïdes. Ces astéroïdes métalliques, comme on les appelle, qui furent jadis les noyaux de corps célestes aujourd’hui disparus, sont composés principalement de métaux. D’autres astéroïdes sont riches en eau, sous forme de glace, que l’on trouve aussi sur la lune.
Métaux précieux
Les sociétés qui envisagent d’extraire des métaux sur des astéroïdes sont très intéressées par le platine et ses métaux associés comme le palladium et le rhodium, rares et coûteux sur terre. Les métaux de la mine du platine sont utilisés dans les catalyseurs et l’électronique.
Métaux communs ou de base
Les métaux comme le fer et le zinc provenant d’astéroïdes peuvent servir dans la construction d’engins spatiaux et de stations spatiales. Lorsque le stock récupérable de ces métaux sera épuisé sur terre – les réserves de zinc pourraient être épuisées d’ici 2100 – il sera peut-être rentable de les ramener sur terre.
Eau
L’eau extraite dans l’espace reste dans l’espace, sous forme d’eau potable pour les astronautes ou pour la culture. Avec des panneaux solaires, l’eau peut être décomposée en hydrogène et en oxygène, qui peuvent servir à leur tour de carburant pour un engin spatial.
Une version antérieure de cette article, rédigée en néerlandais, a été publiée sur www.downtoearthmagazine.nl.
1 Loi sur l’exploration et l’utilisation des ressources spatiales.
2 Groupe de travail pour la gouvernance des ressources spatiales de La Haye.