Ce texte est la traduction française d’une contribution collective du réseau de l »Alliance des féminismes et de la décroissance’ La version anglaise est accessible sur l’espace internet du réseau ici: ‘Collaborative Feminist Degrowth: Pandemic as an Opening for a Care-Full Radical Transformation‘.
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Pour une décroissance féministe collaborative: la réponse à la pandémie comme point de départ à une transformation radicale vers une société de solidarité et de care (1)
La crise à laquelle nous sommes confrontés en tant que communauté mondiale doit être comprise non seulement comme une crise de santé publique ou comme une crise économique du mode de production capitaliste, mais aussi, fondamentalement, comme une crise des formes de reproduction de la vie. En ce sens, il s’agit d’une crise du care : le travail de prendre soin des humains, des non-humains et de la biosphère partagée.
La pandémie est une rupture historique. C’est aussi une ouverture à la reconstruction du monde – comme le dit un mème récent, ‘Nous ne voulons pas de retour à l’anormal!” En tant qu’activistes et universitaires de la Feminisms and Degrowth Alliance–FaDA (2) (Alliance des féminismes et de la décroissance), nous saisissons cette occasion pour réfléchir à la manière dont nous pouvons, à partir de nos positions diverses, faire face à cette crise, nous organiser, et imaginer collectivement des modes de vie alternatifs radicaux: où nous aurions plus de temps pour la communauté, pour construire des relations et prendre soin les un·e·s des autres ainsi que du monde non humain.
Cette réflexion collaborative est motivée par les préoccupations suivantes :
- Tout d’abord, nous tenons à souligner que cette crise n’a rien à voir avec nos projets de société décroissante, ce N’EST PAS la décroissance que nous travaillons à construire.
- Deuxièmement, nous voulons clarifier ce que signifie un projet de décroissance (féministe) volontaire, et pourquoi il est plus nécessaire que jamais.
- Troisièmement, nous voulons attirer l’attention sur les dimensions du care et du travail reproductif dont nous avons été si fortement dépendant·e·s pendant cette pandémie, alors même qu’elles étaient invisibilisées et négligées. .
- Enfin, nous voulons faire des propositions sur la manière dont cette crise peut nous aider à évoluer vers des économies du care dans une perspective de long terme.
Le PIB est en chute libre, l’exploitation des ressources et la pollution diminuent, les émissions de CO2 ont baissé et, dans certains endroits, les non-humains sont en mesure de ré-habiter des espaces libérés par la diminution de l’activité humaine. À première vue, ces éléments pourraient ressembler à une liste de souhaits de décroissant·e·s ou d’écologistes, et pourtant nous voulons souligner que le ralentissement de l’économie mondiale provoqué par cette pandémie ne doit PAS être confondu avec le projet de décroissance féministe. Au contraire, certaines réponses d’acteur·rice·s dominant·e·s nous conduisent droit vers les chemins inquiétants et dangereux de la surveillance de masse, de l’autoritarisme et de l’écofascisme. Comme ce slogan l’avait déjà proclamé auparavant dans le contexte de la dernière crise financière: « Votre austérité n’est pas notre décroissance ».
Les récessions ou dépressions économiques sont des crises, ce ne sont pas des transformations sociales soucieuses du care, et elles ne servent en rien à dissocier les modèles économiques des impossibilités biophysiques d’une croissance capitaliste infinie. La décroissance féministe au contraire incarne la vision d’une transformation radicale vers une société juste, durable et conviviale à travers des changements volontaires. La décroissance est un terme générique qui rassemble des projets d’économies alternatives, qui n’ont pas la croissance et l’accumulation comme objectif primordial mais se concentre sur le care, le bien-être, la convivialité, la solidarité, l’allocation des ressources, les communs, la mise en commun et le souci de l’égalité, l’épanouissement humain et la satisfaction des besoins fondamentaux. Elle est enracinée dans la prise de décision collective et démocratique.
Les réponses à la crise dans certains milieux ont inclus une réévaluation plus que nécessaire des biens collectifs publics et des infrastructures (3) et une reconnaissance de la capacité et de la responsabilité gouvernementale de subvenir aux besoins de ses citoyen·ne·s, actions sur lesquelles nous voulons pouvoir nous appuyer. Cependant, nous devons être méfiant·e·s et vigilant·e·s face à d’autres projets qui cherchent à capitaliser sur cette crise en s’appuyant sur les inégalités, l’autoritarisme, l’austérité et la répression. Cela comprend aussi bien les fantasmes de la Silicon Valley de fournir à celles et ceux qui peuvent se le permettre via les drones d’Amazon, le renforcement de formes d’hyper-surveillance étatiques mondialisées, et même une nouvelle déréglementation du travail salarié déjà en cours d’installation dans de nombreux endroits. Beaucoup de celles et ceux qui ont perdu un emploi stable en raison de cette crise ne le retrouveront pas par la suite, car certains pays adoptent des législations spéciales autorisant les contrats précaires et le travail partiel afin de « sauver » les entreprises. Pendant ce temps, les interventions pour aplanir la courbe de contagion reposent sur des formes sévères de répression, y compris la militarisation dans des pays comme l’Équateur, l’Inde et le Kenya, afin d’imposer une distanciation physique en l’absence d’un système de santé public fonctionnel, ouvrant la voie à des violations récurrentes des droits humains.
Nous intervenons donc pour poser ces questions: comment utiliser ce moment pour reconstruire démocratiquement l’organisation sociale du travail et du care ? Pour reconstruire le domaine de la protection sociale épuisé par des décennies de néolibéralisme, d’austérité, d’ajustements structurels et par la privatisation de l’éducation et de la santé ? Comment cette bascule peut-elle conduire nos économies à l’émancipation vis-à-vis de l’emprise du paradigme de croissance fondé sur des principes capitalistes hétéro-patriarcaux ? Un projet de décroissance féministe implique de mettre fin à la subalternisation du travail reproductif au service du productivisme.
Nous proposons ici quelques-unes des priorités d’une décroissance volontaire éclairée par une approche démocratique et féministe permettant à toutes les facettes de la société de s’engager, de se mobiliser et de se transformer :
1. Vers une économie d’allocation des ressources : reconnaître et régénérer les capacités de reproduction sociales et écologiques
Tous les services, à l’exception de ceux « essentiels », étant bloqués, cette crise nous invite à (re)considérer la définition de l’essentiel et du superflu. Alors que les entreprises « productives » sont fermées, les bases matérielles qui soutiennent et régénèrent la vie et dont nous ne pouvons pas nous passer sont clairement mises en évidence. Certain·e·s décrivent ces bases matérielles par le biais de l’économie d’allocation des ressources, c’est à dire une économie qui fournit ce dont les gens ont réellement besoin pour leur bien-être et leur reproduction. Ce recentrage sur les besoins de base a suscité une reconnaissance inhabituelle envers les professions à forte utilité sociale, des paysan·ne·s qui cultivent nos aliments jusqu’aux employé·e·s qui remplissent les étals des supermarchés.
Cette capacité à subvenir aux besoins est en outre basée sur des activités comme l’entretien, le recyclage, la réparation et la restauration des ressources environnementales, infrastructurelles et sociales. Ces éléments sous-tendent la reproduction sociale et environnementale et sont parfois appelés « économie de la reproduction » (le travail accompli pour nous permettre de nous reproduire). Cela comprend le travail domestique non rémunéré, ainsi que la protection, la régénération et la défense des capacités écologiques de reproduction de la vie, souvent conduites par des paysan·ne·s, des militant·e·s et des peuples autochtones qui s’engagent dans un travail respectueux et luttent pour nourrir le sol, pour garder l’eau exempte de contamination et l’air non pollué. Leur travail reproductif et leur souci du care a été considéré comme gratuit et disponible pour l’exploitation, de même que la fertilité du sol, l’air, et l’eau, ont longtemps été considérés comme des « cadeaux offerts » par la nature au capitalisme.
La concentration sur l’allocation et l’économie de la reproduction ramène l’économie au cœur de ses préoccupations. Le mot économie vient du grec oïkonomia, qui signifie gestion de la maison. Une décroissance féministe implique de restructurer notre économie pour déplacer l’accent mis sur la production de produits destinés à nourrir l’impératif de croissance et les désirs sans fin, vers les activités de reproduction et d’approvisionnement de la vie et la satisfaction des besoins. Il est crucial de favoriser cette mise en place de pratiques économiques d’allocation des ressources – sans romancer les idées du « local » ni oublier les impacts genrés propre à toute transformation économique.
La soutenabilité de la vie devrait constituer l’objectif principal de l’organisation sociale. Cela nécessite la reconnaissance, la régénération et le renforcement des capacités de reproduction sociales et écologiques ainsi qu’une transformation des marchés et des modes d’échange vers des modes d’allocation des ressources.
Par conséquent, nous appelons de toute urgence à une société qui non seulement respecte les limites planétaires, mais reconstitue et renforce les capacités de reproduction sociales et écologiques. On peut prendre comme exemple les systèmes alimentaires basés sur l’agriculture paysanne tels que les AMAP biologiques qui, à la fois augmentent la résilience locale, soutiennent la régénération du sol et réduisent la dépendance à l’égard des chaînes d’approvisionnement mondiales.
2. Le foyer comme site de production et de reproduction
« Je reste à la maison pour protéger les personnes vulnérables » est une expression courante que nous entendons pour promouvoir la distanciation physique (problématiquement appelée distanciation sociale) en cette période où nos certitudes vacillent. Promouvoir cet appel au retrait au sein de la sphère domestique comme un acte de sollicitude soulève de multiples questions. Qui peut rester dans son logement en toute sécurité ? Qui sont les personnes vulnérables ? Et comment pouvons-nous prendre soin des autres par-delà l’isolement ?
Tout d’abord, il convient de noter que le foyer comme refuge est devenue un luxe sous l’organisation sociale capitaliste existante. Les riches ont le luxe de se loger sur place et de maintenir leur salaire, les défavorisé·e·s ont rarement cette capacité. Dans certains cas, leur travail ne peut pas être effectué à domicile. Certain·e·s doivent sortir pour prendre soin des autres. D’autres n’ont pas de logement du tout. Le virus, comme la pollution, n’est pas démocratique. Il touche différemment les personnes en fonction des inégalités structurelles, modulées par des formes d’oppression et de discrimination qui se cumulent et s’imbriquent entre le genre, la race, la classe, les situations de handicap, l’âge et le lieu, entre autres. Les hommes meurent en plus grand nombre à cause de la Covid-19 partout dans le monde. Aux États-Unis, les communautés afro-américaines sont plus touchées, pour ne donner que quelques exemples (4).
De plus, le foyer n’est pas toujours un espace sûr. Les mesures visant à restreindre les déplacements confinent les personnes vulnérables dans le même espace que leurs agresseurs, ce qui entraîne une augmentation des niveaux de violence domestique principalement contre les femmes et les enfants. Comme les employeur·euse·s s’attendent à ce que les gens fassent du travail de care et du travail salarié en même temps, dans leurs bureaux à domicile tout en faisant l’école à la maison, les divisions sexuelles du travail deviennent de plus en plus définies et inégales. Cette collision du travail rémunéré et du care à domicile a clairement révélé ce que les universitaires féministes ont toujours souligné: que le foyer a toujours été un lieu de travail et que le lieu de travail dépend du foyer, qu’ils soient ou non confondus ou dans des endroits différents.
Enfin, nous devons nous demander comment il serait possible de prendre soin des autres et de nos communautés, de faire preuve de solidarité sociale, tout en maintenant une distanciation physique. Comment la convivialité et la solidarité, qui font partie intégrante de la décroissance, peuvent-elles prendre le pas sur l’aliénation pendant ces moments ? Alors que les États partent du principe que tous les ménages sont constitués de familles hétéro-patriarcales, et que celles-ci serviront de filets de sécurité pour absorber les chocs sociaux et économiques de cette crise ; la réalité est que dans de nombreux pays, le type de ménage le plus courant est composée d’une personne seule.
Cette atomisation signifie que des formes de solidarité pratique et, en fait, de proximité sociale sont nécessaires. Partout dans le monde, les communautés construisent des réseaux de soutien et de care qui vont au-delà de la famille nucléaire hétéro-patriarcale et qui soutiennent et interconnectent les membres de foyers non nucléaires (les familles nucléaires étant minoritaires dans tous les pays). Nous partageons l’enthousiasme des penseur·euse·s anarchistes pour les groupes d’affinités (5) comme modèle pour recréer des réseaux de « parents atypiques » plutôt que de « parents typiques » (« odd-kin » plutôt que « god-kin » selon les termes de Donna Haraway) pour survivre au virus. Ils suggèrent qu’en choisissant un groupe de personnes en qui vous avez confiance et avec qui vous partagez des facteurs de risque et des niveaux de tolérance au risque similaires, vous pouvez vous réunir joyeusement et prendre soin de préserver votre santé mentale et physique. Ces groupes d’affinité peuvent ensuite être connectés à des groupes plus larges d’entraide qui peuvent s’engager dans une solidarité pratique plus étendue avec les sans-abris, les migrant·e·s et les réfugié·e·s, et s’engager dans la mobilisation et le soutien collectifs pour les luttes et la résistance des un·e·s et des autres – des grèves des loyers aux mouvements ouvriers en passant par la solidarité directe avec soignant·e·s, les groupes LGBTIQA+ ou encore les groupes de défense des droits des prisonnier·ère·s.
La création de ces réseaux de care maintenant, au-delà de nos foyers, peut permettre de surmonter l’aliénation et fournir un terrain fertile pour la mobilisation collective nécessaire pour créer l’avenir que nous voulons voir advenir en ce moment historique. De plus, cela peut nous aider à imaginer des moyens plus collectifs d’organiser la reproduction de la vie, tout en s’appuyant sur des ressources communes, communautaires et répondant aux besoins réels des communautés.
3. Vers une économie solidaire. Travail et revenu de care
Aujourd’hui, dans la plupart des pays, la majorité des infirmier·ère·s, des aide-soignant·e·s, des auxiliaires de santé et des éducateur·rice·s sont des femmes, tandis que les postes essentiels où les hommes sont concentrés sont les ambulancier·e·s, les ramasseur·se·s d’ordures, les ouvrier·ère·s agricoles, les médecins, les livreur·se·s et autres. Beaucoup de ces postes essentiels sont occupés par des travailleur·se·s informel·le·s, sans papiers ou migrant·e·s. Pour cette raison, ces travailleur·euse·s rencontrent des difficultés spécifiques pour accéder aux services publics de santé et de protection sociale. S’iels tombent malades, iels devront probablement continuer à travailler. Iels courent donc également plus de risques d’être licencié·e·s ou criminalisé·e·s, car dans de nombreux cas, iels seront obligé·e·s de choisir entre la faim et la santé.
Nous considérons la décroissance comme une question de régénération. Alors que de nombreux aspects de notre économie mondiale doivent décroître, certaines infrastructures démocratiques essentielles, telles que les infrastructures liées au care, devront se développer. Par conséquent, nous devons investir dans des politiques transformatrices centrées sur la (re) production de la vie et la mise en commun du care. Dans un avenir de décroissance féministe, les systèmes de care communautaires, domestiques et environnementaux, au-delà du marché et de l’État, reposeront sur des logiques radicalement différentes de celles de la maximisation des bénéfices, de la concurrence ou de l’efficacité. Nous demandons donc également, que les services de santé deviennent des services publics universels, l’extension des services publics, la démarchandisation de la nourriture, du logement, des médicaments, de l’éducation et des autres services de base.
Cette pandémie a suscité des appels à un revenu de base, de la part de personnalités allant du pape François au Parlement espagnol en passant par le businessman étatsunien Andrew Yang. Défini comme une somme modeste versée mensuellement à chaque résident·e pour garantir des conditions de vie dignes, le revenu de base universel a été préconisé dans le cadre de projets et d’objectifs divers. La décroissance est en accord avec les propositions recherchant à garantir des conditions matérielles qui peuvent libérer les individus de l’exploitation, favoriser la transformation des régimes préjudiciables à l’environnement et aider à dépasser les oppositions entre emploi et écologie. Nous devons tendre vers des politiques qui rendent indissociable conditions de vie digne et soutenabilité terrestre.
En tant que militant·e·s féministes de la décroissance, nous proposons un revenu de care qui va au-delà de diverses autres propositions en mettant en avant la reconnaissance sociale du travail de care non rémunéré et genré que nous effectuons tou·te·s pour soutenir la vie et le bien-être des foyers et des communautés. Le revenu de care vise à favoriser l’équité et la solidarité en conceptualisant ce revenu comme un investissement issu de la richesse commune pour favoriser les possibilités de tou·te·s les citoyen·ne·s de prendre soin de nous-même, de nos proches et des autres. C’est pourquoi, nous soutenons, entre autres, l’appel à un revenu de care lancé par Global Women’s Strike (GWS) et Women of Color (6), qui exhorte les gouvernements à reconnaître le rôle indispensable du travail (re)productif de la vie et de la survie, dont nous dépendons désormais plus que jamais.
4. Vers une économie de solidarité
Dans l’immédiateté de la pandémie, nous devons renforcer les groupes d’affinité existants, les réseaux d’entraide et tous les efforts en lien avec ces formes d’entraide. Nous reconnaissons que la solidarité se présente sous plusieurs formes. Par conséquent, nous devons adopter une approche intersectionnelle et nous soutenir mutuellement dans nos luttes et nos résistances – des grèves des loyers aux mouvements ouvriers, de la solidarité directe avec les soignant·e·s précaires ou avec les personnes sans logement en passant par les prisonnier·ère·s. En reconnaissance du colonialisme persistant des relations Nord-Sud, nous devons exiger une annulation des dettes pour les États d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie.
Nous avons besoin de solutions structurelles à long terme pour protéger celles et ceux qui sont vulnérables. Nous avons besoin d’abris, de sanctuaires et d’un soutien direct pour les réfugié·e·s, les sans-papiers et les sans-abri. Il est également nécessaire de fermer les centres de détention pour migrant·e·s (centres de rétention administrative en France), d’une part parce qu’ils constituent des lieux fermés propices à la propagation du virus, mais également parce qu’ils sont systématiquement des lieux d’abus des droits humains et que leur disparition s’inscrit dans l’effort de transformation vers une société du care. Les crises fondées sur une absence de care ne peuvent être résolues par une incarcération de masse ou la fermeture des frontières nationales. La décroissance implique la prise en compte des limites planétaires, pas des limites frontalières. La pandémie nous montre que la vie (et son revers, la mort) ne connaît pas de frontière, mais elle est dépendante de limites, par exemple lorsque la déforestation de l’agro-industrie se propage dans les forêts et que les virus passent de la faune déplacée au bétail puis aux humains.
Les dirigeant·e·s du monde se concentrent sur la sauvegarde de l’économie. Iels devraient plutôt se concentrer sur la sauvegarde de la biosphère, par le biais de politiques urgentes comme un Green New Deal mondial de la solidarité. Nous n’avons pas besoin de choisir entre les emplois ou la protection du climat, et nous ne voulons pas non plus revenir à une vie « normale » ou au business as usual. La pandémie révèle que la politique climatique nécessitera une approche beaucoup plus sage et mieux organisée que la politique habituelle. Compte tenu des seuils climatiques mondiaux que nous avons déjà dépassé, cela concerne la survie de tou·te·s, bien que les vulnérabilités varient fortement: pourtant, si les crises qui en résultent sont lointaines et ponctuelles pour les privilégié·e·s, leurs effets seront colossaux sur les plus vulnérables.
La pandémie offre une perspective sans précédent : le rappel de l’interdépendance totale de tous les humains sur la biosphère. Elle révèle la manière interdépendante et systémique dont nous devons transformer nos économies face aux urgences climatiques et environnementales croissantes pour mettre au premier plan le care envers les humains et l’environnement. Nous avons besoin d’une économie fondée avant tout sur le care, la responsabilité, la coopération, le partage et la mise en commun. Pour les sociétés industrialisées, cela signifie une vaste redistribution des ressources et des richesses, une protection stricte des écosystèmes et de la biodiversité, ainsi qu’une décroissance et une décarbonation de l’économie. Cela doit inclure la justice sociale et environnementale pour réparer des siècles de colonialisme et de pillage.
Le changement doit être systémique pour correspondre à l’ampleur de l’urgence et aux inégalités révélées et renforcées par la pandémie. Cette crise peut et doit être utilisée comme un apprentissage collectif pour une transformation vers un futur alternatif de décroissance féministe. Nous exigeons un monde plus solidaire, un monde du care.
Auteur·e·s
Cette contribution a été rédigée en collaboration par environ 40 universitaires et militant·e·s affilié·e·s à la Feminisms and Degrowth Alliance (FaDA), un réseau qui vise à faire des principes féministes une composante de la décroissance. Vous pouvez vous abonner en envoyant un e-mail à : fada-subscribe@lists.riseup.net. Vous pouvez également visiter leur espace de projet FaDA sur le site degrowth.info ; nous suivre sur Twitter ou écrire au groupe de coordination à fada-feminismsanddegrowth@riseup.net.
Les participant·e·s aux conversations menant à ce texte incluent entre autres: Amanda Mercedes Gigler, Anna Saave, Barbara Muraca, Corinna Dengler, Dominique Just, Emily Rose McDonald, Eeva Houtbeckers, Evi Curu, Federico Demaria, Giacomo D’Alisa, Janina Dannenberg, Jennifer Wells, Leah Temper, Lina Hansen, Lindsay Barbieri, Manuela Zechner, Maria Consuelo Revilla Nebreda, Marisol Bock, Megan Egler, Miriam Lang, Renda Belmallem, Natalia Avlona, Patricia Susial Martín, Rebecca Rutt, Sophie Sanniti, Sourayan Mookerjea, Stefania Barca, Susan Paulson, Teal George, Wojtek Mejor.
Notes
(1) NdT : on a choisi de conserver dans la traduction française le concept de care, maintenant couramment utilisé en France. La notion de care, dépasse largement la seule référence à la santé humaine pour englober les questions de dignité et les conditions d’existence y compris en prêtant attention à la soutenabilité environnementale de la vie. Une des définitions couramment employée a été proposée par les chercheuses féministes étasuniennes Joan Tronto et Berenice Fisher, elles définissent le care comme « une activité caractéristique de l’espèce humaine qui inclut tout ce que nous faisons en vue de maintenir, de continuer ou de réparer notre ‘monde’ de telle sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Ce monde inclut nos corps, nos individualités, (selves) et notre environnement, que nous cherchons à tisser ensemble dans un maillage complexe qui soutient la vie. ».
(2) Créée en septembre 2016 lors de la 5e conférence internationale sur la décroissance à Budapest. Nous représentons un réseau d’universitaires et de miltant·e·s qui cherchent à favoriser le dialogue entre les féministes et les décroissant·e·s, et à intégrer les logiques féministes au sein de la militance et des recherches sur la décroissance.
(3) Citons par exemple la nationalisation de son système hospitalier de santé entrepris par l’Irlande.
(4) Et en France la Seine-Saint-Denis, l’un des départements les plus pauvres de France, et avec une importante population issue de l’immigration postcoloniale, fait partie des plus touchés.
(6) https://globalwomenstrike.net/open-letter-to-governments-a-care-income-now/
Traduction: Benoit Monange. Relecture: Renda B.