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Résultat des européennes en Suède: une victoire des écologistes et des féministes tempérée par le succès de la droite

- 5 juin 2014

Les élections en Suède ont laissé stupéfaits tant la classe politique que les commentateurs de la presse : les grands vainqueurs sont opposés sur la plupart des sujets.  D’un côté, le parti écologiste (Miljöpartiet) qui gagne 4,4 points* avec 15,5 % des voix et un nouveau parti, féministe, qui gagne 3,1 points avec un score de 5,3 % des voix et du côté opposé, les nationalistes d’extrême-droite, le parti des « Démocrates suédois », qui avec 9,7 % des voix gagne 6,5 points.

Per Gahrton est membre fondateur du Parti Vert Suédois (Miljöpartiet). Après avoir siégé en tant qu’écologiste au Parlement suédois(1988-1991&1994-1995) et au Parlement européen(1995-2004), il est maintenant président du think tank Cogito.

Cet article est la version française d’un article paru en anglais dans le Green European Journal. Il est accessible dans sa version originale ici : Sweden: Green/feminist victory but also extreme right-wing success.

Les élections en Suède ont laissé stupéfaits tant la classe politique que les commentateurs de la presse : les grands vainqueurs sont opposés sur la plupart des sujets.  D’un côté, le parti écologiste (Miljöpartiet) qui gagne 4,4 points* avec 15,5 % des voix et un nouveau parti, féministe, qui gagne 3,1 points avec un score de 5,3 % des voix et du côté opposé, les nationalistes d’extrême-droite, le parti des « Démocrates suédois », qui avec 9,7 % des voix gagne 6,5 points. Les grands perdants sont: la droite modérée (le parti majoritaire de la coalition au pouvoir, de droite) qui fait 13,6 % (-5,2), le résultat le plus bas depuis son score de 1973, les Libéraux avec 10 % (-3,6) et le parti « Pirate » qui, avec 2,2 % (-4,9) a raté le seuil minimal et qui perd ses deux sièges. Mais les sociaux-démocrates doivent également être vus comme perdants parce qu’avec à leur tête un nouveau président, un ancien syndicaliste typiquement « productiviste »,  masculin, partisan du nucléaire et du commerce des armes, ce parti n’a engrangé qu’un résultat similaire à celui de 2009, 24,4 % (-0,2), lorsqu’il était dirigé par une femme plus « écolo ». Le « Parti de la Gauche » peut également se montrer déçu de ses 6,3 % (+0,6) alors que sa présidence est nouvellement assurée par un parlementaire bien expérimenté avec ses dix années d’ancienneté au Parlement.

Pour quelles raisons les écologistes ont-ils gagné ? La situation est plutôt curieuse : quasi tous les partis autrefois favorables à l’Europe – hormis les Libéraux fédéralistes qui, eux, ont maintenu le cap – ont, pour la première fois, fait campagne pour une réduction des pouvoirs de l’Union Européenne  en mettant en avant des exemples de domaines dont l’Union ne devrait pas se mêler… et simultanément, les écologistes qui, il y a à peine 6-7 ans, étaient les premiers à prôner la sortie de l’U.E, ont mis l’accent sur la nécessité de s’appuyer sur la capacité de l’UE de mettre en place des politiques environnementales audacieuses dans les matières où les frontières des Etats sont complètement inopérantes comme le climat, l’environnement, les périls chimiques, les droits de l’homme, les problèmes migratoires, etc..Dans le même temps les écologistes réitéraient leur refus d’une militarisation et de la constitution de l’Europe en super-puissance,  invitant à se concentrer plutôt sur les questions communes et transfrontières. Comme l’exprime la tête de liste des écologistes Isabella Lövin : « Tous disaient aux électeurs ce que l’UE ne doit pas faire. Nous, nous leur avons dit ce sur quoi l’Union devrait plus s’activer ». Dans l’ambiance qui prévaut en Suède, toujours méfiante du centralisme et des velléités de super-puissance de l’UE mais favorable à la mise en place de politiques communes pour  la sauvegarde de l’environnement, cette stratégie s’est apparemment avérée être la bonne.

La principale différence avec la campagne de 2009 (où l’on avait d’ores et déjà supprimé l’appel à une sortie unilatérale de la Suède de l’Union), c’est que l’on a inversé l’ordre des arguments de campagne : au lieu de mettre en cause les politiques de l’UE pour ensuite proposer les solutions des écologistes, Isabella Lövin et les autres candidats verts ont d’abord avancé les remèdes nécessaires à leurs yeux et laissé pour la fin leur vues critiques sur, par exemple, l’aspect militaire d’un renforcement de l’Union. Il faut bien dire que la crédibilité de cette stratégie a été favorisée par la réputation qu’Isabella, une parlementaire inconnue en 2009, s’est forgée dans le pays en tant que femme politique efficace dans l’hémicycle du parlement européen, capable de peser sur les décisions de l’Assemblée (surtout dans le domaine de la pêche).

Le Parti de la Gauche qui continue à exiger la sortie de l’Union dans son programme est également en difficulté. Il est fréquemment apparu que leurs parlementaires européens avaient, dans l’hémicycle européen, voté contre des propositions qu’ils soutiennent officiellement par ailleurs, par exemple la Taxe Tobin ou les droits et libertés des minorités sexuelles Lgbt. Il y a bien entendu une certaine logique à s’opposer à de bonnes propositions si l’on est convaincu que c’est à un autre niveau de décision qu’elles doivent être traitées mais les temps changent et l’ambiance n’est plus à poursuivre cette stratégie communément appliquée par les écologistes suédois des années 1990 : c’est  fort difficile d’expliquer ces « contradictions » à l’électeur suédois d’aujourd’hui.

Toujours dans le même temps le Parti de la Gauche s’est montré plutôt discret dans sa volonté de sortir la Suède de l’Europe ; spontanément il en faisait peu mention, le cas échéant, oui,  dans des discussions où il se trouvait sur la défensive. En agissant ainsi je pense que le Parti de la Gauche ne constituait pas une alternative réelle à la minorité (25 %, selon les sondages) qui veulent la sortie de la Suède de l’Europe. C’est pourquoi le « Parti des Démocrates Suédois » est resté le seul choix pour l’électeur soucieux d’exprimer avant tout son attitude totalement négative à l’UE.

On peut faire la comparaison avec la période 1995-2004 lorsque les écologistes formaient en Suède le principal parti critique de l’Union européenne, développant une stratégie de « sortie de l’Europe » assez radicale. Aucun parti anti-européen nationaliste et de droite n’avait alors de soutien populaire. Je n’entends pas dire que les écologistes auraient dû maintenir leur position de sortie de l’UE. A mon sens l’élargissement considérable de l’Union Européenne avec dix nouveaux membres en 2004 rendait irréaliste toute politique de sortie unilatérale de l’Union. Depuis lors, le débat européen se résume à un point, il concerne la coopération européenne, coopération qui a toujours été souhaitée par les écologistes de Suède.

La situation est bien entendu changée du tout au tout en ce sens que la critique de l’Europe par la Suède et d’autres pays du Nord était pendant des décennies une critique de gauche attachée à la défense  de l’Etat providence et fondée par ailleurs sur un anti-atlantisme, un anti-colonialisme, un anti-capitalisme et un grand scepticisme quant à la liberté de commerce  dont on n’avait cesse de pointer les aspects négatifs, etc.. Depuis le début du nouveau millénaire, en Suède – et antérieurement déjà dans d’autres pays européens – les opinions négatives envers l’Europe sont teintées de xénophobie, de racisme et de chauvinisme machiste.

J’ai tendance à penser que les récentes élections européennes en Suède font partie intégrante d’un grand changement qui est à l’oeuvre dans le paysage politique, un paysage politique dans lequel les partis traditionnels qui traduisent des sensibilités différentes par rapport aux aspects matériels de la vie de l’être humain (la croissance, la propriété, l’intervention publique dans l’économie, etc.) seront remplacés par des partis d’une autre nature et qui joueront un rôle politique majeur. Ils seront issus de l’écologie, du féminisme et aussi, hélas, des vagues nationalistes et xénophobes. Cela ne signifie pas que les questions « anciennes », matérielles, vont disparaître, loin de là, mais elles seront abordées sous un éclairage différent.

Il est intéressant de constater que la tendance vers cette polarisation est perceptible non seulement en Suède mais aussi dans de nombreux autres pays comme l’Autriche et le Royaume-Uni. Je crois que ce scrutin européen donne raison à Hannes Alfvén, prix Nobel de physique et chaud partisan du jeune parti écologiste suédois au début des années ’80, qui affirmait : « Le libéralisme a été inventé au 18ème siècle et a présidé au pouvoir du 19ème, le socialisme a été inventé au 19ème et a présidé au pouvoir du 20ème. La pensée écologiste a été inventée au 20ème et elle présidera le pouvoir au 21éme » .

 

*Les pourcentages de différences sont en comparaison avec le scrutin européen de 2009.

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