Jacques Le Cacheux est professeur des universités en économie et directeur du département des études à l’OFCE.
Entretien de la Fondation de l’Ecologie Politque avec Jacques Le Cacheux suite à l’annonce de la suspension de l’écotaxe, le 29 octobre 2013.
La Fondation de l’Ecologie Politique: Quel votre réaction suite à l’annonce par Jean-Marc Ayrault de la suspension de l’écotaxe?
Jacques Le Cacheux: Cela s’inscrit dans une longue série de renoncements. C’est évidemment tout à fait regrettable puisqu’il s’agit d’une taxe qui était destinée, non pas comme on le dit d’habitude à pénaliser les transports polluants, mais à compenser le fait que le transport routier ne paie pas pour l’usage qu’il fait des routes nationales. C’est plutôt une taxe pour l’entretien des routes. C’est un peu bizarre, d’ailleurs, qu’on appelle cela une « écotaxe ». C’est une taxe qui est destinée à financer les infrastructures, à internaliser un coût qui est le coût externe que fait porter à la collectivité le transport routier sur les voies qui n’ont pas de péages.
La FEP: Elle était néanmoins présentée comme une avancée en matière de fiscalité écologique?
Jacques Le Cacheux: Oui mais c’est ça qui est un peu bizarre. C’est vrai qu’elle a été actée dans le cadre du Grenelle de l’environnement, mais si vous regardez de quoi dépend cette taxe, sur quoi elle est perçue, il s’agit d’une taxe écologique au sens large. La question là n’était pas le caractère plus ou moins polluant des camions soumis à cette taxe mais plutôt leur tonnage et le fait qu’ils circulent sur un certain type de routes.
La FEP: Comment expliquer qu’une taxe qui a fait l’objet d’un tel consensus au moment de son adoption soit ainsi retirée?
Jacques Le Cacheux: Je vois deux raisons. La première est qu’en ce moment chaque fois que le gouvernement annonce une nouvelle taxe tout le monde monte au créneau. Comme le gouvernement a déjà reculé sur beaucoup de choses, il était évident qu’en montant au créneau il y avait de bonnes chances d’obtenir une nouvelle reculade. L’autre raison s’inscrit dans un contexte de difficultés économiques en Bretagne et ces difficultés ont été politiquement manipulées. C’est une taxe qui a été votée par la précédente majorité, mais on voit bien que l’opposition actuelle a instrumentalisé une forme de mécontentement, notamment en Bretagne, pour avoir la peau de cette taxe. Politiquement c’est de bonne guerre, économiquement c’est désastreux. Les socialistes dans l’opposition on fait la même chose il y a quatre ans avec la taxe carbone. Ils l’ont tuée en la mettant devant le Conseil constitutionnel. Nous assistons à la même chose dans l’autre sens. C’est la réponse du berger à la bergère. Une fois de plus c’est l’écologie qui fait les frais de tout cela.
La FEP: Existe-t-il un moyens de dépasser ces blocages pour faire avancer la fiscalité écologique en France?
Jacques Le Cacheux: Actuellement je pense que c’est très difficile. Il faut essayer de dégager des consensus. Ce qui est désespérant dans cette histoire c’est que le gouvernement a manqué de pédagogie. On n’a pas expliqué clairement quel était le poids réel de cette écotaxe sur le coût du transport, qui est en réalité extrêmement faible. Si vous calculez par kilo transporté, vous verrez que c’est dérisoire. Dans le cas de la Bretagne, pour un transport de Brest à Paris, ça ne faisait même pas un demi centime d’euro par kilo transporté. C’est quelque chose d’absolument dérisoire. On aurait pu également expliquer qu’il s’agissait de financer l’entretien des infrastructures de transports et que donc c’était autant que les autres contribuables ne paieraient pas. Pour l’instant les routes et autoroutes bretonnes sont payées par les contribuables français dans leur ensemble. Je pense qu’il y a eu de la part de ce gouvernement un manque total d’effort de pédagogie dans cette affaire. Et puis il est vrai qu’en ce moment tout ce qui touche à la fiscalité est extrêmement sensible. On voit bien qu’il ne se passe pas une semaine sans qu’il y est un problème du côté de la fiscalité, donc c’est vrai que le contexte est assez tendu.
La FEP: et sur la manière de faire avancer la fiscalité écologique?
Jacques Le Cacheux: Sur la fiscalité écologique, il faudrait vraiment essayer de faire des efforts « bipartisans ». Je sais que c’est un petit peu utopique de dire ça dans le contexte politique actuel. Mais en même temps si on arrive pas à faire ce genre de compromis politique assez large on a beaucoup de mal à avancer. Les deux conditions c’est beaucoup de pédagogie et puis la mobilisation d’un soutien politique le plus large possible. Le manque de pédagogie actuellement est criant.
La FEP: Lorsque le gouvernement Fillon avait enterré la taxe carbone, l’une des excuses avait été que le niveau européen était plus pertinent pour ne pas affaiblir la compétitivité des entreprises françaises.
Jacques Le Cacheux: C’est un peu facile de botter en touche de la sorte. On pourrait aussi dire qu’il faut développer ça au niveau mondial. On a toujours raison de dire ça. Simplement si on dit cela on sait très bien que ça ne se fera pas. C’est aussi une façon de dire: « ne le faisons pas ». On peut toujours utiliser l’excuse qui consiste à dire que les autres ne le font pas donc nous ne le feront pas tant que tous le monde ne le fait pas. Si on rentre dans cette logique on ne fera jamais rien. On ne protégera pas les aires marines, etc… Dans ces domaines là il n’y a pas de gouvernance européenne sérieuse et il y a encore moins de gouvernance mondiale sérieuse. On sait très bien qu’il arrive un moment où soit on avance soit il ne se passe rien. Il y a des pays qui l’ont fait. La Suède, le Danemark, et un certain nombre de pays ont mis en place des fiscalités écologiques ambitieuses au niveau national. Donc c’est faisable, notamment dans des économies développées, avancées, très ouvertes et faisant partie de l’Union européenne. Il faut arrêter avec les mauvaises excuses.