La Fondation de l’Écologie politique est fière de participer à la 1ère édition du festival organisé par le Printemps de l’histoire environnementale !
Pour l’occasion, nous vous proposons une exposition sur le thème ‘Années 80 : écologies en résistance !’. D’abord disponible en version virtuelle sur notre site, l‘exposition physique sera inaugurée à la Mairie du 7e arrondissement de Lyon le 28 juin.
Le Printemps de l’histoire environnementale, porté par le Réseau universitaire de chercheurs en histoire environnementale (RUCHE), organisé pour la première fois cette année, vise à donner plus de visibilité à l’approche historique et à la longue durée dans la compréhension des bouleversements écologiques actuels.
Années 80 : écologies en résistance !
L’écologie est aujourd’hui devenue un sujet de préoccupation majeur, mais les prises de consciences environnementales ont une histoire longue, faite de flux et de reflux, qui débute au XVIIIe siècle. Celles-ci connaissent un essor remarquable dans le sillage de Mai 68 qui marque un tournant. Pour autant, le combat ne s’est pas arrêté à la parution du rapport Meadows en 1972, ni à la lutte du Larzac, ni à la candidature de René Dumont à la présidentielle en 1974. Alors quelles formes prennent les luttes écologistes durant les années 80 ? Quels sont les enjeux et les objets de mobilisation pour les militant-e-s de l’époque ?
« C’est dur aujourd’hui la crise… Demain ça sera vachement mieux » (Les Amis de la Terre)
Si l’arrivée de la gauche au pouvoir avec l’élection de François Mitterrand en 1981 apparaît pour certain-e-s comme un espoir d’emprunter une autre voie, bien vite avec le « tournant de la rigueur » en 1983, la France est rattrapée par la recherche d’un développement économique infini. Malgré la large diffusion du libéralisme et du capitalisme, les luttes sociales et écologistes ont eu une certaine envergure à cette période. Assez méconnus, des événements majeurs ont bien eu lieu : de l’accident nucléaire de Tchernobyl aux luttes antiracistes et féministes, en passant par l’invention du concept de « développement durable » et le combat pour la protection de la biodiversité. Ces thématiques diverses ont peuplé l’actualité faisant naître une esthétique de communication et de représentation propre aux années 1980.
La cinquantaine d’archives citées (affiches, périodiques, tracts et documents, autocollants et badges) témoigne d’une angoisse toujours très présente vis-à-vis de la poursuite destructrice du progrès technique et de la croissance, mais elle montre aussi les modes de résistances à l’encontre d’un modèle de société dévastateur et les tentatives d’imaginer un futur désirable.
Nota bene : les pièces citées (dans le texte et dans les diaporamas) renvoient vers leurs descriptions dans la bibliothèque numérique du site Archives de l’Écologie Politique où elles peuvent être consulées en intégralité.
Les mouvements écologistes : investir le champ électoral ou créer un mouvement social ?
Durant les années 1970 émergent de nombreuses associations écologistes, à l’instar des Amis de la Terre [pièces n°3 & n°8]. Mais le mouvement écologiste n’est pas uni, les combats et les points de vue sont multiples [pièce n°9] et les groupes se distinguent aussi par des spécificités locales. Cette « nébuleuse écologiste » [1] comprend des groupes aux cultures politiques différentes et plusieurs conceptions du combat écologiste se côtoient [pièce n°2]. Si ces groupes parviennent à s’unir ponctuellement derrière des candidatures électorales communes comme celle de Brice Lalonde à l’élection présidentielle de 1981 [pièce n°6], une partie du mouvement est réticente à la forme partidaire et l’unification prend plusieurs années.
Le MEP – Mouvement d’écologie politique – [pièce n°5] issu d’une première union entre le Mouvement écologiste (présidé par Antoine Waechter) [pièce n°4] et SOS Environnement devient Les Verts – Parti écologiste au début des années 1980. Ce dernier fusionne finalement en janvier 1984 avec Les Verts – Confédération écologiste (issu du Réseau des Amis de la Terre) à l’assemblée générale de Clichy pour donner naissance aux Verts – Confédération écologiste – Parti écologiste [pièces n°1 & n°7]. L’institutionnalisation n’est qu’une des voies possibles de l’écologie politique : elle est sans doute nécessaire mais clairement insuffisante pour mener à bien tous les combats de manière radicale et intersectionnelle.
L’élection de François Mitterrand, un espoir illusoire pour les écologistes ?
Le 10 mai 1981, François Mitterrand, soutenu par de nombreuses organisations et notamment par la CGT et la CFDT, devient le premier président de gauche sous la Vème République, suscitant un immense espoir. Dans son programme économique, le candidat du Parti socialiste a prévu des mesures attendues par les militant-e-s de gauche : semaine de 35 h, renforcement syndical, nationalisations, planification démocratique… [pièce n°10]
Mais les écologistes sont sceptiques vis-à-vis des engagements pris par le candidat sur l’énergie… (Proposition n°38 : « L’approvisionnement énergétique du pays sera diversifié. Le programme nucléaire sera limité aux centrales en cours de construction, en attendant que le pays, réellement informé, puisse se prononcer par référendum. Les crédits en faveur des énergies nouvelles ou des techniques nouvelles d’exploitation des énergies traditionnelles (charbon) seront très considérablement augmentés. ») [pièce n°11]. Finalement, la politique énergétique mise en œuvre a développé le programme nucléaire, provoquant de larges résistances un peu partout sur le territoire.
Les luttes antinucléaires, noyaux durs des résistances
Parmi les luttes phares du début de la décennie, on peut nommer celle victorieuse de Plogoff : « des barrages sont mis en place, organisés par le Comité de Défense. Pendant 3 jours et 3 nuits les habitants se relaient pour les garder » [pièce n°12]. Rassemblant près de 150 000 personnes à Plogoff en 1980, les manifestations d’ampleur sont le principal moyen de protestation contre les projets de construction de centrales nucléaires. Le moyen de résister aux décisions étatiques est ici la désobéissance civile non-violente. Cette esthétique de joie militante est notamment figurée sur l’affiche [pièce n°17] grâce au dessin de style BD représentant un groupe d’enfants dansant sur un iceberg qui gèle des armes nucléaires et les rend donc inexploitables.
En plus de combattre la construction de nouvelles centrales et infrastructures liées à l’industrie nucléaire [pièce n°21], les écologistes s’emploient à promouvoir des sources d’énergie alternatives [pièces n°19 & n°20].
Le surgénérateur de Superphénix situé le long du Rhône, à Creys-Malville, prototype industriel qui permettrait de réutiliser du plutonium, fait également l’objet d’une campagne médiatique [pièces n°13, n°14 & n°15]. En effet, ce modèle de centrale apparaît comme un « outil de la course à l’armement », à l’heure où la menace d’une guerre nucléaire est toujours vive avec le déploiement par l’OTAN de missiles Pershing. À la suite de l’Appel pour le désarmement nucléaire européen en avril 1980, la résistance à la militarisation s’organise [pièces n°17 & n°18]. En 1985, le bateau Rainbow Warrior, envoyé par Greenpeace dans l’Océan Pacifique pour protester contre les essais nucléaires français est saboté par les services secrets français, causant la mort d’un photographe à bord, Fernando Pereira, et provoquant un scandale politique international.
La crainte d’un accident nucléaire [pièce n°16] devient réalité le 26 avril 1986 avec l’accident nucléaire de Tchernobyl [pièces n°22 & n°23] en Ukraine. Après l’explosion de l’un des réacteurs de la centrale et la diffusion d’un nuage radioactif vers l’Ouest et le Nord, les mouvements anti-nucléaires français se mobilisent davantage, après avoir connu une période d’essoufflement.
Solidarité internationale, antiracisme et féminisme
Les inégalités Nord-Sud [pièce n°24] et les droits des peuples autochtones [pièce n°25] sont également des sujets de mobilisation des militant-e-s écologistes dont la solidarité internationale constitue l’un des piliers idéologiques.
En France a lieu à la fin de l’année 1983 une première grande manifestation nationale : la marche pour l’égalité et contre le racisme [pièce n°27] ; mais la montée de l’extrême droite qui se manifeste à travers des agressions et des crimes racistes appelle à de nouvelles mobilisations antifascistes à la fin de la décennie [pièce n°28]. Oeuvrant pour la justice sociale et environnementale, l’enjeu est de faire de l’écologie un objet politique intersectionnel.
Par ailleurs, les écologistes sont aussi impliqué-e-s dans le combat féministe. Les femmes participent pleinement aux luttes et mobilisations d’envergure, se rassemblant quotidiennement jusqu’à entamer des affrontements violents avec les forces de l’ordre. Parmi elles, à Plogoff, on peut nommer Annie Carval (présidente du comité de défense) ou encore Amélie Kerloc’h (première adjointe puis maire de la commune).
C’est cependant en Angleterre qu’a eu lieu la plus grande et longue mobilisation écoféministe contre l’installation de missiles nucléaires. À partir de septembre 1981 jusqu’en 2000, une trentaine de femmes organise le camp de Greenham Common [pièce n°26]. Par cette résistance, l’écoféminisme donne lieu à la création d’une municipalité nouvelle, fondée sur le respect du vivant, sur la mixité choisie, l’organisation horizontale et l’action directe pacifiste. Cette lutte est particulièrement importante pour l’histoire de l’écoféminisme, permettant de joindre revendications de justice sociale et environnementale par un mode d’action non-violent, anti-patriarcal et créatif. Refusant les moyens de luttes traditionnels et l’association avec des groupes politiques institutionnalisés, l’enjeu de Greenham Common est de visibiliser d’autres formes de mobilisation politiques, plus radicales, très localisées et en rupture avec l’ordre établi.
Protection de l’environnement et de la biodiversité
Quinze ans après la première conférence mondiale sur l’environnement de l’Organisation des Nations Unies de Stockholm a lieu un nouveau jalon important dans l’inscription de l’écologie dans le droit international : la définition du « développement durable » dans le rapport Brundtland en 1987 [pièce n°40]. Ce dernier est une réponse institutionnelle majeure de la période. Quant à l’expression de « biodiversité », celle-ci apparaît également à la fin des années 1980 (1988), après que les écologistes ont lancé plusieurs campagnes médiatiques pour tenter de sensibiliser le grand public à la raréfaction de certaines espèces et à la dégradation des écosystèmes [pièces n°29 & n°30, n°30 bis & n°30 ter, n°31 & n°36].
De plus, parmi les manifestations saisissantes et désastreuses notoires advenues dans la décennie, le phénomène des pluies acides est l’un des plus marquants. Dues à la rencontre entre l’eau et des gaz émis par l’industrie, elles sont un fléau environnemental dont les conséquences sont peu connues mais les manifestations sont impressionnantes. [pièces n°32, n°33 & n°34]. Au départ observées dans les forêts allemandes [pièce n°35], ces pluies sont destructrices de la flore et la faune (santé humaine comprise) ainsi que sur le patrimoine bâti. Leur source est majoritairement anthropique, due largement à l’industrie, les centrales électriques, le chauffage et les transports. Grâce à la pression militante et aux réactions réglementaires européennes, les pluies acides se raréfient à la fin de la décennie, laissant place à d’autres sujets d’inquiétude.
Le trou dans la couche d’Ozone [pièce n°37] et l’effet de serre [pièces n°38 & n°39] sont les deux grandes batailles de la fin de la décennie 80. Alors que le premier a été résolu par la signature en 1987 du Protocole de Montréal relatif à des substances qui appauvrissent la couche d’ozone, le second est beaucoup plus difficile à traiter. Les mouvements écologistes tentent de trouver d’autres manières de combattre le système capitaliste qui produit ces pollutions, en dénonçant les pratiques polluantes.
Changer les modes de vie ?
Pour combattre un modèle économique basé sur la croissance et la destruction des ressources, le choix des réseaux militants écologistes se portent sur « l’alternative ». L’enjeu est de promouvoir d’autres manières de vivre, produire, consommer à l’échelle locale pour créer de véritables « réseaux d’initiatives ».
C’est à la fin des années 80 que l’agriculture biologique [pièce n°42] connaît un véritable essor : le salon Marjolaine en est une illustration caractéristique [pièce n°41]. Aux initiatives faites dans l’alimentation s’ajoutent celles dans le domaine de l’énergie [pièce n°19] et des transports [pièces n°43 & n°44]. L’accent est également mis sur le recyclage [pièce n°45]. Contester le développement se manifeste aussi dans la lutte contre des projets d’aménagement du territoire qui portent atteinte aux lieux de vie et aux paysages [pièce n°46]. La diffusion de ces idées passe notamment par les radios libres, ici celle de Lille, qui prennent leur essor avec la fin du monopole d’État en 1981 [pièce n°47]. Cet exemple fait partie des initiatives locales qui élaborent des contre-modèles.
[1] Vrignon Alexis, La naissance de l’écologie politique en France : une nébuleuse au coeur des années 68, p.75
Texte de Meixin Tambay et Eugénie Leclerc