Du Lundi 24 juin au lundi 1er juillet 2019
Au Centre culturel international de Cerisy
La Fondation de l’Ecologie Politique est partenaire de cet événement organisé dans le cadre du programme 2019 des ‘Colloques Cerisy’
Inscriptions sur le site des Colloques Cerisy:
https://cerisy-colloques.fr/vertus2019/
HUMAINS, ANIMAUX, NATURE :
QUELLE ÉTHIQUE DES VERTUS POUR LE MONDE QUI VIENT ?
DIRECTION :
Gérald HESS, Corine PELLUCHON, Jean-Philippe PIERRON
ARGUMENT :
L’éthique des vertus met l’accent sur les motivations concrètes des personnes, au lieu de se focaliser sur les normes en se contentant d’énoncer des interdictions et des obligations. Elle aide ainsi à combler l’écart entre la théorie et la pratique qui est particulièrement dramatique à un moment où nombre d’individus comme d’États reconnaissent la réalité du changement climatique mais ne parviennent pas à réorienter les modes de production ni à reconvertir l’économie.
Quelles représentations et quels affects expliquent que l’on puisse avoir du plaisir à consommer autrement ? Quel processus de subjectivation permet de se sentir solidaire des autres vivants et d’acquérir les traits moraux indispensables à la transition écologique qui repose autant sur le volontarisme politique que sur la capacité des citoyens à modifier leurs styles de vie et à s’organiser sur le plan social et politique ? Telles sont les questions qui réuniront des acteurs de la société civile et des chercheurs issus de disciplines différentes (économie, littérature, philosophie, psychologie, science politique, sociologie, théologie).
CALENDRIER PROVISOIRE :
Lundi 24 juin
Après-midi
ACCUEIL DES PARTICIPANTS
Soirée
Présentation du Centre, du colloque et des participants
Mardi 25 juin
POURQUOI UNE ÉTHIQUE DES VERTUS AUJOURD’HUI ?
Matin
Gérald HESS, Corine PELLUCHON & Jean-Philippe PIERRON : Introduction
Olivier RENAUT : L’éthique des vertus : ancrage antique et enjeux contemporains
Après-midi
Corine PELLUCHON : Quelle éthique des vertus ? Transdescendance et considération
Sandra LAUGIER : Care, perfectionnisme et éthique des vertus
Mercredi 26 juin
ÉTHIQUE DES VERTUS, TRANSITION ÉCOLOGIQUE ET SOLIDAIRE
Matin
Réflexions des élèves du collège Anne Heurgon-Desjardins de Cerisy sur la manière dont les relations avec les animaux et la nature doivent évoluer
Stephen M. GARDINER : Virtue Ethics in a Changing Climate
Après-midi
Table ronde, avec Sophie SWATON (Le revenu de transition écologique) et Bruno VILLALBA (La relation à la violence dans les théories de la transition. Éthique de l’esquive)
Des innovations dans l’alimentation, l’agriculture, l’élevage, la mode (dialectiques agricoles, permaculture), table ronde avec Amandine LEBRETON (La transition alimentaire, l’élevage et la mode), Anahid ROUX-ROSIER (L’éthique de la permaculture : au-delà de l’aphorisme) et Géraldine VALLEJO (Façonner le Luxe de Demain)
Soirée
Les animaux et la biodiversité, avec Muriel ARNAL et Allain BOUGRAIN DUBOURG
Jeudi 27 juin
ÉTHIQUE DES VERTUS, TRANSITION ÉCOLOGIQUE ET SOLIDAIRE
Matin
Catherine LARRÈRE : Éthique relationnelle et écologie à la première personne
Ce que les animaux nous enseignent, table ronde avec Muriel ARNAL (Individualité animale et divertissement humain), Thierry BEDOSSA (Ce que les animaux nous enseignent. Le point de vue d’un vétérinaire et comportementaliste), Allain BOUGRAIN DUBOURG (Biodiversité, état des lieux) et Isabel BUIL (#AnimauxSoigneurs)
Après-midi
DÉTENTE
Vendredi 28 juin
ÉTHIQUE DES VERTUS ET POLITIQUE
Matin
Gérald HESS : Conscience écologique, vertus et communauté politique
Dominique BOURG : L’entrée en politique des modes de vie à l’Anthropocène
Après-midi
Comment la prise de conscience des destructions environnementales changent les modes de vie ?, table ronde avec Floran AUGAGNEUR (Influence de la minorité vegan : une illustration des théories de Serge Moscovici) et Caroline LEJEUNE (Vivre avec la sobriété imposée : politiques du renoncement)
Soirée
De la spiritualité à l’écologie, aller et retour, autour de Dominique BOURG
Samedi 29 juin
ÉTHIQUE DES VERTUS, PSYCHOLOGIE ET ÉDUCATION MORALE
Matin
Jacques BESSON : Addictologie et Écologie
Table ronde, avec Michel Maxime EGGER (Retrouver notre unité avec la Terre : les voies de l’écopsychologie) et Layla RAÏD (Val Plumwood et les lieux particuliers : perspectives écoféministes sur les lieux de vie)
Après-midi
La littérature, table ronde avec Yvon INIZAN (Poésie de la présence chez Yves Bonnefoy et éthique des vertus) et Nathanaël WALLENHORST (L’éducation en anthropocène)
L’esthétique environnementale, table ronde avec Quentin BAZIN (Quelques délires lucides d’anarchitectes : des vertus contagieuses ?) et Pascal FERREN (Tentatives pratiques pour une culture de la transition : intentions, expériences et obstacles)
Dimanche 30 juin
ÉTHIQUE DES VERTUS ET SPIRITUALITÉS
Matin
Jean-Philippe PIERRON : L’attention
Simon P. JAMES : Buddhism, Virtue and Environmental Ethics
Après-midi
Table ronde, avec François EUVÉ (Humains, animaux, nature : approche catholique), Bruno FISZON (La place des animaux dans la Création) et Otto SCHAEFER (Vertus vertes : ce que la relation au végétal inspire à l’éthique)
Soirée
Lecture de textes
Lundi 1er juillet
Matin
Synthèse par les doctorants
Conclusion du colloque
Après-midi
DÉPARTS
RÉSUMÉS & BIO-BIBLIOGRAPHIES :
Muriel ARNAL : Individualité animale et divertissement humain
L’exploitation d’animaux sauvages pour le divertissement des humains est présentée comme utile car pédagogique, comme le moyen de diffuser des connaissances sur les espèces, et d’éduquer les enfants à la nécessité de les protéger. Qui sont les individus ‘présentés’ dans les cirques et les delphinariums ? Quels sont leurs désirs ? Leur vérité d’être ? Leurs besoins ? Quelle est leur vie dans les cirques et les parcs marins? Et pour les jeunes générations : quelle pédagogie ? quel apport ? quelle transmission ? quelle influence ? Au moment où les individus disparaissent inexorablement dans la nature, et à l’aune des connaissances et savoirs sur l’identité et la vie intérieure des animaux sauvages, le bien-fondé de leur exhibition dans des spectacles n’a jamais été autant remis en question.
Muriel Arnal est présidente de One Voice qu’elle a fondée en 1995, pour une éthique animale et planétaire. Les combats de l’association sont centrés autour des individus, dans la vision de l’unité des combats : pour les animaux, pour les humains et pour la Nature.
Floran AUGAGNEUR : Influence de la minorité vegan : une illustration des théories de Serge Moscovici
Que nous enseigne l’œuvre monumentale de Serge Moscovici, à la fois pionnier de l’écologie politique en France et psychologue social de renommée mondiale, sur l’évolution du mouvement écologiste et sur celle du mouvement vegan ? Nous présenterons sa théorie de l’influence, de l’innovation sociale et des transformations de l’histoire, en partie opposée à celles portées par l’écologie inspirée de la philosophie de Hans Jonas, tant sur le versant éthique que démocratique. À partir de ces théories, et en prenant exemple de la ‘minorité vegan’, nous montrerons comment les sociétés innovent et se transforment: par quels mécanismes psychiques les minorités actives deviennent des forces productrices et créatrices.
Floran Augagneur est vice-président de la Commission nationale du débat public, autorité administrative indépendante garante de la démocratie environnementale.
Publications
‘La vie n’existe que là où il y a des hommes. Serge Moscovici : l’écologie ou la raison du peuple’, Revue scientifique interdisciplinaire de développement durable Vraiment Durable, n°5/6, 2015.
‘Serge Moscovici’, dans Dictionnaire de la pensée écologique, dirigé par Dominique Bourg et Alain Papaux, Paris, PUF, 2015.
‘Écologie et psychologie sociale : Agir dans (nos représentations sociales de) la nature’, dans Souci de la Nature. Apprendre, Inventer, Gouverner, sous la direction de Cynthia Fleury et d’Anne-Caroline Prévot, Paris, CNRS Éditions, 2017.
Quentin BAZIN : Quelques délires lucides d’anarchitectes : des vertus contagieuses ?
L’art brut nous invite à découvrir et à considérer des personnes qui répondent à des intensités diverses de brutalités institutionnelles (assujettissements ou marginalisations économiques, prescriptions de devoir-être, incarcérations thérapeutiques ou juridiques) par des pratiques inventives et singulières, par une perturbation locale et remarquable de leurs rapports au monde. Davantage qu’une aubaine pour les collectionneurs ou le marché de l’art, qu’une source d’inspiration pour les arts contemporains, ou qu’une nouvelle fascination culturelle, ce qui a été nommé ‘art brut’ gagne à être articulé avec une pratique contemporaine : la psychothérapie institutionnelle. Selon cette méthode d’analyse, avant de prétendre être en mesure de prodiguer des soins, il faut que les institutions soient elles-mêmes soignées par une résolue remise en cause de leurs pratiques et impensés habituels. Les premières institutions concernées ont été l’hôpital psychiatrique, puis l’école, qu’en est-il aujourd’hui de ce projet de transformation sociale ? Remontant aux origines communes de l’art brut et de l’analyse institutionnelle, nous verrons que la conception ‘brute’ de la créativité permet leur articulation vertueuse, et que nous avons très probablement à apprendre de ces bricolages existentiels (issus de l’art brut et des anarchitectures écosophiques comme celles de Chomo, de Michel Rosell, ou d’Armand Schulthess), en inventant à notre tour des pratiques qui ne relaient pas docilement les brutalités ambiantes.
Quentin Bazin a fait des études de philosophie et d’histoire de l’art à Lyon, principalement sur la pratique de la collection (à travers les cabinets de curiosités) et sur la pensée de l’écologie radicale (à travers le jardin comme lieu de vie). Il termine actuellement sa thèse au sein des universités Jean-Moulin Lyon III et Grenoble-Alpes, qui s’intitule : ‘De l’art brut au laboratoire itinérant (Pragmatique de l’incommunicable)’. Celle-ci étudie la notion récente de ‘créativité’ en philosophie, à travers les controverses qui animent la notion d’art brut, les écrits de Guattari, Castoriadis, Maldiney, Simondon, et l’élaboration d’une proposition culturelle.
Thierry BEDOSSA
Il s’agira de présenter le point de vue d’un vétérinaire et d’un comportementaliste en insistant sur le rôle que jouent, dans les consultations, les émotions déclenchées par la situation clinique de l’animal, mais aussi par le comportement des maîtres.
Thierry Bedossa est vétérinaire praticien. Il préside depuis 2004 l’association Aide aux vieux animaux (AVA) située à Saint-Cyr-sur-Loire en Haute-Normandie. De 2014 à 2015, il anime brièvement l’émission télévisée Happy Dog sur M6. Depuis 2012, il anime le blog Pet in the city consacré au monde animal. En 2013, il crée le Bien-être homme-animal (BEHA), fonds de dotation destiné au financement de projets dédiés à la cause animale.
Jacques BESSON : Addictologie et Écologie
Il est frappant de constater le parallélisme des concepts de l’addictologie avec ceux de l’écologie, qu’on en juge : sobriété, consommation excessive, perte de contrôle du comportement malgré les conséquences négatives, dépendance, automatisation… Dès lors, à l’heure des neurosciences, il est intéressant de se pencher sur les mécanismes neurobiologiques largement inconscients qui déterminent les facteurs de risque de cette perte de contrôle, responsable d’une fuite en avant irrationnelle. Les vulnérabilités à l’addiction sont constituées de facteurs biologiques génétiques hérités, mais aussi de facteurs déterminants psychologiques et psychopathologiques, au nombre desquels on retiendra les antécédents psychotraumatiques, parmi lesquels la négligence et la maltraitance précoce. Un troisième ordre de vulnérabilité réside dans le contexte socio-culturel et la tolérance sociale aux comportements abusifs et déviants. Dans ce cadre, il est nécessaire de relever l’impact particulièrement favorable de la spiritualité sur la santé, tant physique que mentale. Ceci est spécifiquement pertinent dans le champ des addictions : en effet, de nombreux exemples d’entraide spirituelle, comme les Alcooliques Anonymes, ont montré l’efficacité de ce type de solidarité sur la résilience et le rétablissement. De même des études récentes de neuroimagerie cérébrale ont montré le même impact favorable de la méditation et de la prière sur le changement de comportement, la réduction de l’automatisation et le recouvrement du contrôle de la consommation. L’exposé développera ces aspects interdisciplinaires, grâce à l’apport des neurosciences cognitives, dans une nouvelle approche qu’il est convenu d’appeler neurothéologie, permettant un rapprochement entre spiritualité et environnement.
Jacques Besson est professeur honoraire de psychiatrie à la Faculté de biologie et de médecine de l’université de Lausanne. Addictologue, il s’intéresse depuis de nombreuses années aux rapports entre neurosciences et spiritualité et entre psychiatrie et religion.
Publication
Addiction et spiritualité, Erès, 2017.
Allain BOUGRAIN DUBOURG : Biodiversité, état des lieux
Le vivant apparaît sur la planète il y a quelque 3 milliards ½ d’années mais, alors que nous avons marché sur la lune, nous ne connaissons que 2 millions d’espèces. Nous savons, en revanche, que la biodiversité subit un déclin alarmant. En cause, l’artificialisation, le réchauffement climatique, les espèces invasives, l’agriculture intensive, etc… Quel avenir pour la nature dont nous dépendons ? Quelle place accordons nous aux animaux ? Quel rôle chacun peut-il jouer ? C’est notamment à ces questions qu’Allain Bougrain Dubourg souhaite apporter un éclairage.
Engagé dans la protection de la nature et des animaux dès l’âge de 12 ans, Allain Bougrain Dubourg crée l’exposition itinérante ‘Le pavillon de la nature’ afin de plaider la cause des espèces ‘malaimées’. Puis, il anime des émissions de télévision animalières durant plus de 30 ans. Chroniqueur sur Europe 1. Président de la LPO, administrateur de la Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité, membre du Comité National de la Biodiversité, etc… il est Officier dans l’Ordre de la Légion d’Honneur et du Mérite National.
Publications
Il faut continuer de marcher. Mémoires, La Martinière, 2015.
Lettres des animaux à ceux qui les prennent pour des bêtes, Les Échappés, 2018.
Dominique BOURG : De la spiritualité à l’écologie, aller et retour
Je repartirai des deux sens que j’ai donnés au mot ‘spiritualité’, les sens ontologique et de réalisation de soi. Je les rappellerai puis montrerai comment ils commandent toute approche écologique. J’essaierai alors de proposer une interprétation de la fin de la modernité avec cette grille.
Dominique Bourg est philosophe et professeur à l’université de Lausanne. Il dirige la collection ‘L’écologie en questions’ et la revue en ligne ‘La pensée écologique‘ aux Puf. Il est ou a été membre de plusieurs commissions françaises: la CFDD, la Commission Coppens chargée de préparer la Charte de l’environnement désormais adossée à la Constitution française, le Conseil national du développement durable; il a vice-présidé la commission 6 du Grenelle de l’environnement et le groupe d’études sur l’économie de fonctionnalité et a participé à la Conférence environnementale de septembre 2012. Il a été membre du conseil scientifique de l’Ademe. Il est président du Conseil scientifique de la Fondation pour la Nature et l’Homme et a participé à l’Organe de prospective de l’État de Vaud (2008- 2016). Ses domaines de recherches sont l’étude de la pensée écologique, les risques et le principe de précaution, l’économie circulaire, le débat public et la démocratie écologique.
Derniers ouvrages parus
Perspectives on Industrial Ecology, Greenleaf Publishing, 2003 / Routledge 2017.
Écologie intégrale. Pour une société permacirculaire, avec Christian Arnsperger, PUF, 2017.
Inventer la démocratie du XXIe siècle. Une Assemblée citoyenne du futur, D. Bourg et alii, L.L.L., 2017.
Une nouvelle Terre, Desclée de Brouwer, 2018.
Isabel BUIL : #AnimauxSoigneurs
Les Interventions assistées par des animaux de compagnie (IAA) sont des actions thérapeutiques dans le cadre desquelles un professionnel du domaine de l’éducation ou de la santé utilise un animal qui répond à des critères spécifiques et qui a été spécialement entraîné à cette fin en tant que partie intégrante d’un processus de traitement. Ce dernier comprend évidemment une série d’objectifs, un contrôle de l’interaction entre l’intéressé et l’animal et une évaluation des progrès et des résultats. Ce type de thérapies nous permet de travailler dans 4 domaines différents. Sur le plan physique, nous promouvons le mouvement, l’activité physique, la motricité et l’équilibre des patients. Sur le plan cognitif, nous travaillons le renforcement de la mémoire et de tous les processus d’apprentissage. Au niveau émotionnel, nous favorisons la libération des sentiments et des émotions. Et pour ce qui est des relations, nous motivons la communication avec l’entourage, améliorant ainsi les relations interpersonnelles.
Née à Huesca en Espagne en 1969, Isabel Buil a étudié le droit à l’université de Saragosse, puis réalisé un MBA (Master in Business Administration) à l’IESE de Barcelone. Il y a 3 ans, elle a complété sa formation avec un diplôme en Management des ONG & Administration à l’ESADE de Madrid. Elle a travaillé dans les services Maketing d’entreprises internationales (Pepsico, Adidas) dans différentes villes. Il y a 6 ans, elle a saisi l’opportunité de diriger la Fondation Affinity, où elle a renforcé la recherche dans le domaine du lien Homme-Animal par le biais de la Chaire à l’université Autonome de Barcelone (Département Psychiatrie), les programmes de zoothérapie, et la responsabilisation de la parentalité envers les animaux de compagnie via des campagnes de communication digitale d’abord en Espagne, puis depuis 2017 en France.
Michel Maxime EGGER : Retrouver notre unité avec la Terre : les voies de l’écopsychologie
Émergence dans un temps d’urgence, l’écopsychologie offre des pistes pour la guérison conjointe de la psyché et de la Terre. Son projet se déploie selon quatre axes: 1) Une tâche philosophique pour changer notre vision de la nature et lui redonner une âme; 2) Une tâche psychologique pour passer du moi égocentré au soi écocentré, en réintégrant la nature dans la psyché humaine; 3) Une tâche pratique pour offrir des ressources — éducatives, sensorielles et thérapeutiques — permettant à la personne de métamorphoser ses émotions et de restaurer des liens profonds avec la nature; 4) Une tâche critique pour contribuer à la construction d’une société écologique, en créant les conditions intérieures d’une transformation des comportements et des structures socio-économiques. La singularité de l’écopsychologie comme mouvance transdisciplinaire réside dans l’articulation de ces quatre tâches, au confluent de la réflexion et de l’action.
Sociologue et écothéologien, Michel Maxime Egger est responsable du laboratoire de ‘transition intérieure’ à l’ONG suisse Pain pour le prochain, co-directeur de la collection ‘Fondations écologiques’ aux éditions Labor & Fides et animateur du réseau www.trilogies.org qui met en dialogue traditions spirituelles et grands enjeux écologiques.
Publications
Soigner l’esprit, guérir la Terre. Introduction à l’écopsychologie, Labor & Fides, 2015.
Écopsychologie. Retrouver notre lien avec la Terre, Jouvence, 2017.
François EUVÉ : Humains, animaux, nature : une approche catholique
Le christianisme serait-il ‘la religion la plus anthropocentrique qui soit’ (Lynn White) ? L’idée d’un homme créé ‘à l’image de Dieu’ invité à ‘soumettre et dominer’ la terre inciterait à le penser. Ce n’est pas fortuit que l’émergence d’une relation technologique au monde soit survenue en contexte chrétien, en dépit de la relation conflictuelle du catholicisme à la modernité. La sensibilité écologique actuelle oblige à reprendre la question sur le plan fondamental, comme y invite l’encyclique Laudato si’. Une nouvelle lecture de la Bible et de la tradition théologique fournit de nouvelles ressources pour penser le rapport triangulaire, Dieu, homme, nature (non-humaine). On insistera en particulier sur la dimension d »agentivité’ de l’ensemble des composantes du monde, chacune dans son ordre.
François Euvé, Jésuite, ancien élève de l’École Normale Supérieure de Cachan et agrégé de physique, professeur de théologie systématique aux Facultés jésuites de Paris (Centre Sèvres), rédacteur en chef de la revue Études.
Publications
Pour une spiritualité du cosmos. Découvrir Teilhard de Chardin, Paris, Salvator, 2015 (traduit en coréen).
Darwin et le christianisme. Vrais et faux débats, Buchet-Chastel, 2009 (traduit en polonais et en russe).
Penser la création comme jeu, Éd. du Cerf, ‘Cogitatio fidei’, 2000 (traduit en portugais).
Pascal FERREN : Tentatives pratiques pour une culture de la transition : intentions, expériences et obstacles
Depuis huit ans, je conçois et mène des expériences visant à faciliter auprès de plusieurs populations (des urbanistes, des agents de collectivités, ou de l’État, des professionnels de la culture, des panels d’usagers d’un espace, etc.) une appropriation des enjeux des mutations territoriales, une meilleure responsabilité face aux changements climatiques ou encore une forme plus globale de culture de la transition sociale et environnementale. À tous les stades de ces expériences, j’ai relevé de manière constante des formes variées de résistance aux changements au cœur de ce que l’on pourrait appeler les ‘cultures professionnelles’. Tout semble se passer comme si les représentations des responsabilités professionnelles des individus constituaient une sorte d’obstacle à l’imagination et au désir d’un ou de plusieurs avenirs possibles. Comme si le dispositif d’éclatement des responsabilités entre des sphères de vie (famille, facebook, ami, travail, militantisme associatif, vie politique, etc.) rendait impossible une projection de l’individu dans la transition (elle-même nécessairement transversale à ces sphères de vie). Pointant du doigt ce phénomène et ses facettes, en écho aux remarques déjà anciennes d’Ivan Illich sur la professionnalisation des sujets, nous envisagerons et présenterons quelques tentatives pour une culture de la transition comme autant de manières de malaxer la consistance morale des individus par des propositions, souvent artistiques ou au moins créatives, autour des formes d’organisations collectives, des engagements physiques, des expériences intercognitives ou interprofessionnelles, etc. Nous nous demanderons ensemble si ceci n’est pas l’autre nom d’une réinterrogation de la nécessité d’exercices moraux. En somme, la question peut également se poser ainsi: puisque la facilitation d’une culture de la transition exige des individus, non préparés à cela et conditionnés à l’inverse, d’imaginer et de vouloir eux-mêmes leur propre avenir, dans quelle mesure des œuvres, dispositifs, processus artistiques peuvent-ils agir de manière juste et efficace ? Et la réponse pratique que je tente de développer, radicalement non conceptuelle, expérimentale et empirique, rugueuse et parfois abrasive, s’appuie sur des essais, des cas pratiques, des fulgurances, des échecs retentissants, des astuces ou des tactiques visant parfois, simplement, à pointer du doigt la possibilité d’une éthique.
Après des études de philosophie générale et un master ‘Éthique et Développement durable’ à l’université de Lyon, Pascal Ferren travaille à l’Agence d’urbanisme pour le développement de l’agglomération lyonnaise. Il y développe des méthodes d’urbanisme sensible et collaboratif dans le cadre des ateliers d’innovation en urbanisme. En 2012, il rejoint le POLAU-pôle arts et urbanisme. Il accompagne dès lors différentes démarches artistiques et culturelles intégrant des enjeux sociaux et territoriaux. Il intervient dans différentes régions françaises et pour le compte de commanditaires variés (SEM, aménageurs, collectivités, État, etc.) en développant des réponses pratiques aux demandes d’évolution structurelle et méthodologique de ceux et celles qui font les villes et les campagnes.
Bruno FISZON : La place des animaux dans la Création
Le récit biblique de la Création place l’Homme au sommet de celle-ci; toutefois l’apparition des animaux y est mentionné selon un ordre bien précis. Quelle place alors le judaïsme, à travers le récit de la Thora, laisse-t-il aux animaux ? Ne sont-ils que du décor dans lequel l’homme va se mouvoir ? Ou sont-ils à leur niveau, des acteurs dans le projet divin ? Se pose aussi la question de leur consommation qui est objet de débat chez les maîtres. Enfin quelles sont les règles enseignées par le judaïsme sur le respect des animaux et aussi l’interdiction des souffrances qui peuvent leur être infligées ? Voici quels éléments de débat que nous vous proposons de partager.
Bruno Fiszon est docteur vétérinaire (Nantes), docteur en Sciences (Faculté de Chateney Malabry), Ancien élève de L’Institut Pasteur, Grand Rabbin de Metz et de la Moselle, Conseiller de Mr le Grand Rabbin De France et Membre de l’Académie Vétérinaire de France et du Comité National d’Éthique des abattoirs.
Stephen M. GARDINER : Virtue Ethics in a Changing Climate
Le travail philosophique sur des thèmes du monde réel est parfois ramené à de la simple éthique ‘appliquée’, comme si tout ce qu’il implique consistait à prendre une théorie développée ‘prête à l’emploi’ et à voir quelles en sont les conséquences directes pour le problème en question. Par contraste, je prétends qu’un gros travail en éthique pratique consiste à explorer les approches courantes et les défis qu’elles soulèvent pour la théorie aussi bien que la pratique. Dans mon intervention, je justifie ce point de vue en m’attaquant au rôle de l’éthique des vertus pour penser le changement climatique. Dans la première partie, je considère la façon dont l’éthique des vertus pourrait se confronter au problème de motivation de la génération actuelle des nantis à faire face à un enjeu intergénérationnel. Dans la seconde partie, j’explore la façon dont les nouvelles technologies radicales de géoingénierie pourraient élargir les limites des vertus actuelles et nous amener à penser quelques-unes des anciennes vertus aristotéliciennes de manière nouvelle.
Stephen M. Gardiner est professeur de philosophie et détenteur de la chaire Ben Rabinowitz des Dimensions humaines de l’environnement à l’université de Washington à Seattle, où il est également Directeur du Programme sur l’éthique. Ses recherches portent sur les problèmes environnementaux globaux, les générations futures et l’éthique des vertus.
Publications
A Perfect Moral Storm, Oxford, 2011.
Co-auteur de Debating Climate Ethics, Oxford, 2016.
Éditeur de Virtue Ethics, Old and New, Cornell, 2005.
Co-éditeur de Oxford Handbook of Environmental Ethics, Oxford, 2016.
Co-éditeur de Climate Ethics : Essential Readings, Oxford, 2010.
Gérald HESS : Conscience écologique, vertus et communauté politique
Dans ses deux derniers ouvrages, Les nourritures (2015) et Éthique de la considération (2018), Corine Pelluchon montre la contribution qu’apporte une philosophie du sujet corporel à l’explicitation de la situation existentielle qui est la nôtre face aux défis environnementaux. À travers une prise de conscience de notre vulnérabilité et grâce à une transformation de soi, une éthique de la considération vise à préserver l’habitabilité du monde et sa durabilité. Toutefois, que peut bien signifier un monde durable pour lequel s’engager, lorsqu’on le confronte à sa mort propre prochaine, à sa mort-à-venir ? Cette communication radicalisera cette philosophie de la corporéité du point de vue de la temporalité, afin de rendre la durabilité du monde aussi palpable et concrète que possible. La durabilité sera pensée à partir de ma propre mort, non pas comme une limite irreprésentable et infranchissable qui en vient à opposer la mort à la vie, mais comme une dimension de la vie elle-même. Sur le plan biologique, le phénomène du vieillissement d’abord en est la manifestation la plus immédiate. Sur le plan psychologique, la mort propre s’actualise à la mesure d’un décentrement ou d’un abandon de soi. Retournant à mon expérience corporelle sensible et vivante, je me dépouillerai de mon identité personnelle et sociale pour vivre — phénoménologiquement (selon diverses modalités) — des points de vue différents du mien, celui d’un animal, d’un végétal ou d’une montagne par exemple. Ultimement, le point de vue devient celui qui ne correspond à aucun point de vue particulier, comme peut l’être un point de vue esthétique sur le tout de la nature — là où, par l’imagination, la subjectivité s’efface momentanément pour faire place au monde lui-même. Cette dimension cosmique de l’expérience de la corporéité a des effets sur le comportement des agents, à la fois dans leur manière d’être et d’agir et d’envisager le vivre-ensemble. La dernière partie s’attachera à relever, d’une part, les diverses dispositions pratiques — les vertus — relatives à une durabilité concrète, et, d’autre part, à décrire le sens que revêt la communauté politique dans la perspective d’un décentrement de soi.
Gérald Hess est philosophe et juriste, titulaire d’un doctorat en philosophie de l’université de Lausanne, actuellement maître d’enseignement et de recherche en éthique et philosophie de l’environnement dans cette université.
Publications
Éthiques de la nature, PUF, 2013.
Éditeur en collaboration avec Dominique Bourg de Science, conscience et environnement, PUF, 2016.
Il est également l’auteur de nombreux articles dans des revues spécialisées à l’audience internationale dont international Journal of the Commons, The Trumpeter et VertigO.
Yvon INIZAN : Poésie de la présence chez Yves Bonnefoy et éthique des vertus
En cherchant à faire apparaître certains éléments caractéristiques d’une poésie de la présence à travers l’analyse de certains thèmes fondateurs de la pensée et de l’écriture d’Yves Bonnefoy, on se demandera s’il y a dans cette écriture quelque chose comme une visée éthique ? Il s’agira alors d’interroger la façon dont le poète articule, dans son écriture, la visée proto-éthique de la présence avec le souci proprement éthique de la compassion. Cette dernière dimension paraît de plus en plus au fur et à mesure de l’avancée de la réflexion poétique d’Yves Bonnefoy. On pourra la voir développée en particulier dans son essai sur les Peintures noires de Goya (2006), mais ce sont aussi de très belles pages autobiographiques, dans son dernier livre — L’Écharpe rouge (2016) — qui, consacrées aux origines de l’écriture, poursuivent la réflexion sur la compassion (‘la fondation, la refondation de l’être’, p. 94). On cherchera aussi, dans ce cadre, à interroger la pensée du poète dans sa relation à l’œuvre de Jean Wahl — dont Yves Bonnefoy se réclame explicitement — et, en particulier, dans son rapport à certaines remarques sur le concept de transdescendance. Cette orientation du poète permettra de penser cette œuvre poétique majeure dans sa relation à une éthique des vertus.
Yvon Inizan enseigne en Classes préparatoires au lycée Chateaubriand de Rennes.
Publications
La Demande et le don, l’attestation poétique chez Yves Bonnefoy et Paul Ricœur, avec une préface de Yves Bonnefoy, 2013.
Ce que le poète dit au philosophe. Yves Bonnefoy, la pensée du poème, Éditions Apogée, 2018.
Simon P. JAMES : Buddhism, Virtue and Environmental Ethics
À certains égards, le bouddhisme est une religion bien disposée envers l’environnement. Mais je défends l’idée que cela n’est pas dû au fait que ses enseignements impliquent une valeur intrinsèque de la nature. Cela est dû au fait qu’ils suggèrent le devoir de développer certaines ‘vertus environnementales’ si l’on veut vivre une bonne vie. Conformément à cette explication orientée sur les vertus, le bon bouddhiste traite la nature avec respect, parce qu’il est compatissant, doux, humble et attentif non seulement en relation avec ses compagnons humains, mais dans ses rapports avec toute chose.
Simon P. James est professeur associé en philosophie à l’université de Durham en Angleterre. Il est l’auteur de nombreux articles en philosophie environnementale.
Publications
Zen Buddhism and Environmental Ethics, Ashgate, 2004.
Buddhism, Virtue and Environment, Ashgate, 2005, en collaboration avec David E. Cooper.
The Présence of Nature : A Study in Phenomenology and Environmental Philosophy, Palgrave-Macmillan, 2009.
Environmental Philosophy : An Introduction, Polity, 2015.
Catherine LARRÈRE : Éthique relationnelle et écologie à la première personne
Alors que les éthiques environnementales se sont principalement engagées dans la recherche d’une caractéristique objective et indépendante (la valeur intrinsèque), nous voudrions montrer l’importance qu’il y a à développer, sur ces questions, une éthique des relations, et le rôle que joue de ce point de vue, une écologie à la première personne, dont le récit d’Aldo Leopold, dans l’Almanach d’un comté des sables, peut être une référence. Au cœur, donc, de ‘Thinking like a mountain’ on trouve une affirmation de responsabilité individuelle pour une faute morale, dont la compréhension demande une révision, ou une conversion personnelle. Ce récit illustre ainsi ce que Leopold, dans un texte écrit à la même époque, où il présente également quelques courts récits à la première personne de sa pratique de protecteur de la nature, nomme ‘the futility of trying to improve the face of the land without improving ourselves’ (‘la futilité qu’il y a à essayer d’améliorer la surface de la terre sans nous améliorer nous-mêmes’). Nous voudrions montrer que cette écologie n’est en rien une égologie, mais une ouverture sur l’animation du monde.
Catherine Larrère, philosophe, professeure émérite à l’université de Paris I-Panthéon-Sorbonne, travaille depuis 1992 sur les questions de philosophie et d’éthique environnementales.
Publications
Avec Raphaël Larrère, Penser et agir avec la nature, une enquête philosophique, La Découverte, 2015.
Avec Raphaël Larrère, Bulles technologiques, Marseille, Éditions Wildproject, 2017.
Collectif, Les inégalités environnementales, Paris, PUF, 2017.
Direction avec Rémi Beau, Penser l’anthropocène, Presses de Sciences Po, 2018.
Amandine LEBRETON : La transition alimentaire, l’élevage et la mode
Alors que les matières premières qu’ils utilisent sont parfois issues d’un même système agricole, les acteurs économiques de l’alimentation, du luxe, du textile, de l’énergie ne se connaissent pas. Voire ils s’ignorent. Cette approche en silo des filières économiques issues de l’agriculture met à mal la transition écologique et sociale. En effet, elle a pour conséquence d’opposer les solutions, de complexifier les jeux d’acteurs, de disperser les accompagnements financiers et d’amoindrir l’efficacité des politiques publiques et des stratégies économiques. Ainsi l’élevage est au cœur d’enjeux sociaux écologiques et économiques qu’il est essentiel de démêler. Sa place dans l’agriculture et les territoires de demain est aujourd’hui questionnée : source d’émissions de gaz à effet de serre ou protection de la biodiversité ? Élevage respectueux du bien-être animal ou fermes usines ? Secteur économique en déclin ou perspective de marchés à haute valeur ajoutée ? Une approche globale de la filière pourrait justement permettre d’esquisser des solutions pour déployer un élevage respectueux de l’environnement, du bien-être animal et des hommes et femmes qui en vivent.
Caroline LEJEUNE : Vivre avec la sobriété imposée : politiques du renoncement
De manière générale, il est convenu de considérer que les populations les plus précaires et celles qui entrent dans un parcours de disqualification sociale sont les moins concernées par les préoccupations environnementales. On s’interroge même sur le fait de savoir s’il est approprié ou non d’aborder avec elles les enjeux de sobriété énergétique. Cette réflexion soulève une contradiction qui est au cœur des perspectives éthiques et politiques de la sobriété. On peut tout à fait imaginer que des personnes, qui détiennent un capital économique et social moyen ou élevé, soient favorables à l’adoption d’un mode de vie moins polluant, moins consommateur de ressources si, en échange, elles gagnent en qualité de vie. Mais dès qu’il s’agit de personnes précaires, comment pouvons-nous envisager d’évoquer avec elles ce que pourrait être une politique de sobriété pour des motifs écologiques ? À partir de ce questionnement, nous proposons d’interroger la notion de ‘sobriété’ au sein de l’écologie politique à la française à partir des enjeux de justice. Pour cela, nous nous appuierons sur un cas d’étude, l’observation du Forum Permanent de l’Insertion réalisée de 2011 à 2014 à Lille dans le Nord de la France.
Caroline Lejeune, docteure en sciences politiques environnementales, travaille dans le domaine des humanités environnementales sur les implications éthiques et politiques des transformations environnementales à partir des enjeux de justice. Pour cela, elle questionne les cadres théoriques des sciences humaines et sociales à partir d’études empiriques. Elle est première assistante au sein du groupe des humanités environnementales de l’Institut de géographie et de durabilité de l’université de Lausanne en Suisse. Elle est secrétaire de rédaction de la revue La Pensée écologique et membre du comité de rédaction de la revue Développement durable et territoires.
Pour en savoir plus: http://igd.unil.ch/clejeune/
Corine PELLUCHON : Quelle éthique des vertus ? Transdescendance et considération
Quelles vertus permettraient aux individus de tenir les promesses des éthiques environnementales et animales qui n’ont pas réussi à faire entrer l’écologie et la question animale en politique ni à motiver les individus à changer leurs styles de vie ? Faut-il créer une nouvelle éthique des vertus ? Ou bien les vertus propres au rapport à soi et à autrui ont-elles un sens dans notre rapport aux autres vivants et à la nature ? Notre hypothèse est qu’une seule éthique des vertus est nécessaire, mais elle se distingue à la fois des morales néo-aristotéliciennes, perfectionnistes et essentialistes, et des éthiques du care.
Si la considération implique que le rapport à soi est la clef du rapport aux autres, humains et non humains, et à la nature, et si elle accorde une place importante à la magnanimité, l’éthique des vertus que nous proposons s’inspire aussi de l’héritage chrétien en ce qu’il fait subir un infléchissement majeur à la pensée antique, comme on le voit chez Bernard de Clairvaux. Ce dernier souligne, dans De la considération, l’importance de l’humilité, distingue prudence et considération et articule l’éthique à un plan spirituel. Toutefois, la notion de considération présentée ici est réinterprétée dans un contexte moderne et laïc. Indissociable du statut conféré par les Modernes à la subjectivité (Descartes), elle va de pair avec un processus d’individuation qui passe par un élargissement de la subjectivité (Spinoza, Arne Næss) et même par un rapport à l’incommensurable. Toutefois, au lieu d’être identifié à Dieu, l’incommensurable est rattaché au monde commun composé de l’ensemble des générations et du patrimoine naturel et culturel. Plus précisément, la considération est liée à la transdescendance. Car je fais l’expérience de cette appartenance à un monde commun qui me dépasse lorsque j’approfondis la connaissance de moi comme d’un être charnel. Non seulement les changements dans nos rapports aux autres vivants et à la nature ne découlent pas de nos devoirs, mais, de plus, ils requièrent une transformation en profondeur du sujet. Celle-ci ne s’opère pas seulement sur le plan intellectuel, mais elle suppose cette expérience de l’incommensurable qui ne désigne pas un mouvement de bas en haut (une trans-ascendance), mais implique l’exploration du sentir dans sa dimension pathique et archaïque. Le lien profond m’unissant aux autres vivants et l’épaisseur de mon existence deviennent alors des évidences qui changent ma perception de moi-même et mes affects. Ainsi, la considération n’est pas une vertu mais l’attitude globale rendant possible l’éclosion des vertus intersubjectives et environnementales, ce qui ne signifie pas qu’elle soit acquise une fois pour toutes. Nous insisterons sur le rôle que jouent la mort, la vulnérabilité et la naissance dans ce processus d’individuation dont les conséquences sur le plan politique sont essentielles. Il s’agira enfin de se demander ce que pourrait être une éducation morale aidant à émanciper le sujet et à réenclencher un processus civilisationnel lié à ce que nous appelons l’Âge du vivant.
Corine Pelluchon, philosophe, professeur à l’université Paris-Est-Marne-La-Vallée. Spécialiste de philosophie politique et d’éthique appliquée (bioéthique, philosophie de l’environnement et de l’animalité), elle est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages qui sont, pour la plupart, traduits dans d’autres langues.
Publications
Leo Strauss, une autre raison, d’autres Lumières, Vrin, 2005, Prix F. Furet.
L’autonomie brisée. Bioéthique et philosophie, PUF, 2009, 2014.
Éléments pour une éthique de la vulnérabilité. Les hommes, les animaux, la nature, Cerf, 2011, Grand Prix Moron de l’Académie française.
Les Nourritures. Philosophie du corps politique, Seuil, 2015, Prix É. Bonnefous de l’Institut des Sciences Morales et Politiques et Prix de l’essai francophone Paris Liège.
Manifeste animaliste. Politiser la cause animale, Alma, 2017.
Éthique de la considération, Seuil, 2018.
http://corine-pelluchon.fr/
Jean-Philippe PIERRON : L’attention
Peut-on faire de l’attention une vertu ? Et si oui, que serions-nous en droit d’en attendre quant à la manière de nous rapporter aux humains, aux non-humains et au milieu ? Dans une formule du Catastrophisme éclairé, Jean-Pierre Dupuy observe, à propos de la crise écologique globale, que nous ne parvenons pas à ‘croire ce que nous savons ?’. Il note qu’en plus des savoirs qui relèvent de notre vigilance experte, il nous faut une croyance. Mais quel est le croire en question? S’agit-il de celui de l’opinion générale, de notre conviction intime, d’une croyance religieuse ou d’une foi ? En interprétant ce croire comme relevant d’une épreuve de l’attention, nous pouvons répondre à J.-P. Dupuy. Alors qu’il suggère l’existence d’une anesthésie à l’égard de la crise environnementale, l’attention pourrait contribuer à nous ré-esthétiser. Notre hypothèse est que la vigilance experte des savoirs peut être relayée par une écologie de l’attention. Cette dialectique dynamique de la vigilance et de l’attention travaillerait à rendre croyable le savoir de notre crise écologique. Le soi apprend à se comprendre dans des expériences de la nature que Pierre Hadot nommerait des ‘exercices spirituels’. Trois ‘exercices’ peuvent permettre de préciser différentes modalités du croire liées à l’attention : la méditation, la contemplation et la prière. Cette écospiritualité invite à ‘goûter les choses intérieurement’, en ‘pleine conscience’. Nous terminerons en nous demandant comment l’attention permet de penser le passage d’une écospiritualité vers une écothéologie ?
Jean-Philippe Pierron, philosophe, enseigne à la Faculté de Philosophie de l’université Jean Moulin Lyon 3 ou il dirige la Chaire ‘Valeurs du soin’. Ses recherches portent sur l’imagination entendue comme faculté du possible pratique et ses implications pour le soin, aussi bien dans une perspective narrative que de réflexion sur la logique de l’action irréductible à une science de l’action. Il le fait à partir d’une relecture des œuvres de Gaston Bachelard et de Paul Ricœur.
Publications
Vulnérabilité, Pour une philosophie du soin, PUF, rééd. 2016.
Les puissances de l’imagination ?, Cerf, 2014.
Mythopees. Mythologies de la modernité tardive, Vrin, 2015.
La poétique de l’eau. Pour une autre écologie, Éd. François Bourin, 2018.
Les philosophie du soin, Médecine, travail, environnement, Les belles Lettres, 2019 (à paraitre).
Layla RAÏD : Val Plumwood et les lieux particuliers : perspectives écoféministes sur les lieux de vie
La philosophe écoféministe australienne Val Plumwood a changé son nom, après son divorce, pour adopter le nom d’un lieu particulier, celui de la montagne où elle avait construit sa maison, le Mont des pruniers (plumwood). Un des enjeux pour l’éthique environnementale est de se donner les moyens de comprendre l’importance morale des lieux, loin des éthiques généralistes, qui ne comprendront le lien aux lieux particuliers que via les affects (attachement, amour), sans parvenir à intégrer leur valeur autrement que de manière relative. Nous montrerons comment Plumwood défend cette valeur à partir d’une éthique particulariste, qui place en son cœur l’attention au particulier. Nous retiendrons trois caractéristiques du particulier — surprise, contextualité et non-interchangeabilité — pour penser cette importance morale des lieux particuliers.
Ouvrages de Val Plumwood
Environmental Culture. The Ecological Crisis of Reason, 2002.
Feminism and the Mastery of Nature, 1993.
Professeure de Philosophie à l’université de Picardie Jules Verne, ancienne élève de l’ENS Paris et agrégée de philosophie, Layla Raïd est l’auteure d’ouvrages et d’articles dans le champ de la philosophie du langage et de la connaissance (Wittgenstein), de la philosophie de la littérature (Bakhtine, Sarraute, Dostoïevski), et de l’éthique contemporaine. Elle a publié notamment des articles sur l’éthique du care (Gilligan, Tronto), ainsi que sur l’éthique environnementale (Leopold) et les philosophies écoféministes (Plumwood).
Olivier RENAUT : L’éthique des vertus : ancrage antique et enjeux contemporains
Ce qu’on nomme ‘éthique des vertus’ se distingue par un véritable ‘retour aux anciens’, exhumant pour ainsi dire des concepts et notions que la philosophie morale moderne avait écartés : agent, vertu, disposition, bonheur, épanouissement, plaisir, vulnérabilité, nécessité. Une difficulté de ce ‘retour aux anciens’, aussi ‘contemporaine’ que nous semble parfois l’éthique aristotélicienne, consiste à mesurer à la fois l’anachronisme de certaines notions et leur fécondité pour des enjeux contemporains qui par définition ne sont pas pris en compte dans l’élaboration de l’éthique ancienne. Or la considération pour la relation entre humains, animaux et nature fait l’objet d’une toute autre théorisation chez les anciens; cette communication vise ainsi à repérer, à travers ses écarts, notre éventuelle proximité avec certains concepts de l’éthique ancienne dans l’élaboration d’une éthique à la mesure des enjeux contemporains.
Olivier Renaut est maître de conférences, spécialiste en histoire de la philosophie ancienne, à l’université Paris Nanterre. Auteur d’études portant surtout sur les émotions et la psychologie morale dans l’Antiquité, il s’intéresse également aux stratégies de réappropriation de l’Antiquité dans la philosophie morale contemporaine.
Anahid ROUX-ROSIER : L’éthique de la permaculture : au-delà de l’aphorisme
La permaculture, ou (agri)culture de la permanence, est un ensemble de principes éthiques et organisationnels qui s’incarnent notamment par l’installation et le maintien d’agrosystèmes fondés sur le compagnonnage et la complémentarité entre les êtres de nature qui y prennent part. La mise en pratique des principes fondateurs de la permaculture brouille les frontières entre espace cultivé, espèces domestiques et espaces sauvages, et renouvelle, par l’usage, des discussions déjà existantes notamment à propos du statut des êtres de nature et de la place à leur accorder. Les sous-bassement éthiques explicitement formulés par les fondateurs de la permaculture en restent toutefois généralement au stade aphoristique (‘respecter la Terre’ par exemple). À l’aide de témoignages recueillis à travers une série d’entretiens semi-guidés menés auprès de permaculteurs établis en France, nous essayerons de donner chair à ces aphorismes, d’en faire une ‘description épaisse’ (‘thick description’) et de voir en quoi leur mise en pratique peut participer aux débats contemporains d’éthique environnementale.
Anahid Roux-Rosier est doctorante à l’université Lyon 3 Jean Moulin (IRPHIL). Son travail de thèse consiste, à partir d’un terrain de recherche mené auprès de permaculteurs établis en France, à interroger les fondements et les implications, notamment éthiques, de la permaculture.
Otto SCHAEFER : Vertus vertes : ce que la relation au végétal inspire à l’éthique
L’éthique des vertus souligne l’importance de l’imprégnation des acteurs par des pratiques elles-mêmes vertueuses. L’inverse est vrai en partie: l’importance sociale et sociétale croissante de ces pratiques traduit des aspirations éthiques sous-jacentes. Dans cette hypothèse, l’intérêt actuel, fortement accru, pour le monde des plantes et le phénomène végétal provoque la réflexion éthique (à la suite de Gœthe, entre autres, témoin classique du même type de sensibilité). Parmi les caractéristiques prêtées au végétal par la botanique et la philosophie actuelles, on remarque l’accent mis sur les réseaux de communication et d’échange, d’intégration horizontale et verticale (Peter Wohlleben), l’insistance sur le souffle de la feuille créateur du monde des vivants, voire du monde tout court (E. Coccia), enfin la douceur active et patiente qui se vit dans le jardinage compris comme ‘épiphanie de la co-dépendance’ (D. Cooper) de la nature et de l’humain. On pensera en outre à des utopies de vie non-violente qui habitent le véganisme (et déjà le végétarisme d’un Théodore Monod par exemple).
Otto Schaefer est biologiste (géo-botaniste) et théologien réformé. Né en 1955, il partage sa vie entre la Suisse, la France et l’Allemagne. Thèse (1994) et nombreux travaux botaniques sur les zones humides de l’Est de la France (co-auteur d’un Guide des Characées, 2010). Contributions éco-théologiques au mouvement oecuménique (Et demain la terre… Christianisme et écologie, 1990). Publications en éthique économique et éthique de l’environnement (Éthique de l’énergie, 2008). Membre de la Commission fédérale d’éthique de la biotechnologie dans le domaine non-humain CENH / EKAH.
Sophie SWATON : Le revenu de transition écologique
L’idée d’un revenu de transition écologique s’appuie sur une volonté d’accompagner et d’accélérer les initiatives de transition écologique et solidaire. Contrairement à un dispositif de simple taxe sur les entreprises ou les particuliers, ou à un versement monétaire relevant de l’aide sociale, le revenu de transition écologique comprend trois différentes composantes : un revenu, un accompagnement et l’adhésion à une structure démocratique au sens large du terme. Reposant sur un droit de la Terre, il relève d’une éthique environnementaliste spécifique et se présente comme l’une des réponses à la question socio-économique clé : comment encourager les territoires à devenir résilients tout en mobilisant les acteurs locaux et en prônant le droit à la formation et à l’emploi ?
Philosophe et économiste, Sophie Swaton est maître d’enseignement et de recherche à l’université de Lausanne dans le groupe des humanités environnementales. Ses recherches portent, au-delà de ses travaux sur l’entrepreneuriat social et l’articulation à la pensée de Nietzsche et de Schumpeter, sur l’économie sociale et solidaire en lien avec la transition écologique et solidaire.
Dernier ouvrage
Pour un revenu de transition écologique, Puf, 2018.
Géraldine VALLEJO : Façonner le Luxe de Demain
Un monde en accélération constante, des économies qui émergent, des cultures qui s’entrechoquent, des avancées technologiques disruptives, une jeunesse ultra-connectée en quête de sens… Une nouvelle donne mondiale apparaît. La génération du changement bouleverse les codes. Créateur de tendances, Kering fait un choix, celui de réveiller et de façonner le Luxe de Demain, de le rendre plus responsable, de l’engager résolument dans son époque, dans le respect de l’histoire et de l’héritage exceptionnels de nos Maisons. La démarche responsable de l’entreprise peut changer la nature-même de ce qu’est le Luxe. Pour Kering, le développement durable s’envisage comme une opportunité économique : il est une source d