Le 3 août dernier, Philippe Frémeaux, l’un des premiers protecteurs de la Fondation de l’Ecologie Politique, nous a quitté.
Connu et reconnu avant tout comme rédacteur en chef et directeur de la coopérative du journal Alternatives Economiques, il a su se faire apprécier du grand public comme chroniqueur et débateur des matinales de France Culture et France Inter ou dans l’émission de France 5 C’est dans l’air. Sur cet aspect de son parcours et son engagement dans le mouvement de l’Économie Solidaire et Sociale, on renverra aux nombreux textes d’hommages présentés sur le site d’Alternatives Economiques.
L’implication de Philippe Frémeaux auprès de l’écologie politique est plus ancienne que beaucoup ne le soupçonnent puisqu’il a 27 ans lorsqu’il décide de candidater sous les couleurs de « Paris-Ecologie » pour les élections municipales de 1977. Cette structure éphémère qui s’inscrit dans la continuité directe de la campagne présidentielle de René Dumont en 1974 est décrite par l’historien Alexis Vrignon comme un rassemblement d’« écologistes radicaux soixante-huitards » et de « calmes défenseurs verts de l’environnement ». Deux pôles à potentiel antagoniste selon l’historien mais que Philippe Frémeaux a toujours paru en capacité de concilier. Jeune étudiant parisien en 1968, il prend pleinement part aux événements de mai. Fort de cette expérience, il participe aux balbutiements du mouvement écologiste naissant. En selle lors de la première manif à vélo à Paris en 1972, il reste toute sa vie un ardent défenseur de ce moyen de locomotion qu’il enfourche encore, dans une version électrique, pour se rendre à ses derniers rendez-vous médicaux. Un long voyage à travers l’Afrique, à l’orée de la décennie soixante-dix l’a probablement rendu sensible aux discours de René Dumont sur le « pillage-gaspillage du Tiers-Monde » et motive une implication forte dans des associations d’aides aux personnes immigrées.
À cette époque, Philippe Frémeaux n’est pas encore journaliste professionnel. Il enseigne les sciences économiques et sociales à des lycéennes et des lycéens de Vincennes. Mais son barycentre parisien se trouve encore alors dans le XIIIe arrondissement où il s’engage dans la publication du Canard du 13e « mensuel de libre expression populaire » d’orientation plutôt libertaire. Par un concours de circonstances, et l’entremise d’Yves Cochet, lorsque la Fondation de l’Ecologie Politique a cherché au moment de sa création des locaux pour accueillir ses activités, elle s’est fixée rue de la Colonie, au croisement de cette voie qui porte la belle dénomination de « rue de l’Espérance » et qui monte en pente raide jusqu’à la place de la Commune de Paris. Cette place est le cœur battant de la Butte aux Cailles où le Canard du 13e avait fait son nid dans les années soixante-dix. Je pense que si Philippe prend palisir à se joindre aux réunions de la FEP pendant les six années qu’il passe au Conseil de surveillance, c’est aussi, un peu, qu’il affectionne à retrouver ce quartier.
À partir des années quatre-vingt et l’amorce de sa carrière journalistique, Philippe Frémeaux, très soucieux de l’éthique qu’implique sa nouvelle profession et plus encore son rôle de rédacteur en chef, s’éloigne des activités partisanes. Il n’en reste pas moins convaincu de l’importance de la question écologique à laquelle il contribue à sensibiliser ses confrères (comme en témoigne l’hommage de Thierry Pesch) et saura en faire un axe important de la ligne éditoriale d’Alternatives Economiques. Il se félicite d’ailleurs que plusieurs cadres du mouvement écologistes soient passés par Alternatives Economiques (Pascal Canfin, David Belliard, Julien Bayou…). Alors qu’il termine son dernier mandat non renouvelable, il nous recommande pour le remplacer au Conseil de surveillance de la Fondation de l’Ecologie Politique, Manuel Domergue qu’il avait accueilli en stage à Alternatives Economiques à la fin de ses études et qui est devenu par la suite chroniqueur régulier de la revue.
C’est au début de l’année 2013 que Philippe Frémeaux rejoint le Conseil de surveillance de la Fondation de l’Ecologie Politique. La FEP vient de voir son existence reconnue par un décret du Ministre de l’Interieur et cherche à recruter les premiers membres de ses instances. Dans le savant mélange des personnalités pensé par les initiatrices et les initiateurs de la Fondation un journaliste avait déjà pris place dans les rangs et accompagnait le projet de manière distancée. Mais Hervé Kempf, puisque c’est de lui qu’il s’agit, traverse à ce moment-là une période de tension avec la rédaction du Monde où il officie et s’active au développement du site Reporterre. Il préfère ne pas participer directement à l’administration de la Fondation. Philippe Frémeaux, en revanche, tout juste retraité de la rédaction en chef d’Alternatives Economiques où il conserve un rôle de chroniqueur, accepte avec enthousiasme. Il ne manque pourtant pas d’activités pour occuper ses journées. Depuis 2011 il préside l’Institut Veblen dirigé par Aurore Lalucq et Wojtek Kalinowski. Il est également, parmi bien d’autres occupations, très impliqué auprès des éditions Les Petits matins et anime l’IDIES (l’Institut pour le développement de l’information économique et sociale). Si Philippe Frémeaux réussit à avoir un rôle aussi déterminant pour toutes ces structures, c’est avant tout parce que, en reprenant l’expression utilisée par Serge Moscovici pour décrire les origines du mouvement écologique français, il joue le rôle d’agent de polymérisation. En d’autres termes, il fait le lien entre chacune et chacun pour arriver à un résultat plus important et plus solide. C’est ainsi, par exemple, que parait le rapport commun FEP – IDIES – Institut Veblen intitulé « De nouvelles finalités pour l’économie » en octobre 2015. Ou bien encore que se tient à l’Assemblée nationale la conférence FEP – IDIES – Institut Veblen – FAIR (Forum pour d’Autres Indicateurs de Recherche) de mars 2016 sur la Loi sur les nouveaux indicateurs de richesse (dite Loi Sas).
Depuis qu’il est membre du Conseil de surveillance de la FEP, Philippe Frémeaux apprécie tout particulièrement de participer aux Journées d’Été des Écologistes. Il vient pratiquement chaque année. En conférence plénière ou en table-ronde, il est toujours très écouté et ses interventions se transforment souvent en tribune pour le site de la FEP .
Lors des périodes les plus difficiles que doit traverser la FEP, il sait mettre à profit ses qualités de « chef d’entreprise » (comme il aimait à se qualifier) pour régler les problèmes internes ou gérer les départs difficiles. En 2015, à l’achèvement de son premier mandat dans le collège des « personnalités qualifiées » du Conseil de surveillance de la FEP, il sera unanimement reconduit pour un second mandat.
Ces dernières années, sans doute en raison de son éloignement des fonctions de direction d’Alternatives Economiques, il s’autorise de nouveau une plus grande implication partisane. En 2017, il ne cache pas sa proximité avec la candidature de Benoit Hamon à qui il avait remis un important rapport sur les apports de l’ESS alors que ce dernier était ministre délégué en charge de cette question. En 2019, il va plus loin en signant dans Libération une tribune appelant à voter pour la liste Europe Ecologie lors de l’élection européenne et s’affiche aux côtés des candidates et des candidats lors du dernier meeting de campagne de la liste au Cirque d’Hiver.
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Le 7 janvier 2015, dans des circonstances tragiques très différentes, Bernard Maris perdait la vie dans l’attentat contre Charlie Hebdo. Maris, qui s’attachait lui aussi à rendre accessible les raisonnements économiques, était également un compagnon de routes des écologistes (il réalisa 10,73 % au 1e tour des législatives de 2002 en tant que candidat des Verts). Collaborateur régulier d’Alternatives Economiques, Philippe Frémeaux lui avait rendu un bel hommage qui se concluait par quatre mots simples et forts : « Bernard, tu nous manques ». Je n’ai pas su trouver conclusion plus sincère :
Philippe tu nous manques.
Benoit Monange
Directeur de la FEP