Vous avez présidé la mission d’information et d’évaluation Paris à 50°C. Initiée par le groupe écologiste au Conseil de Paris, elle a rassemblé des élus de tous les groupes politiques. Le rapport qui en est issue met sur la table rien de moins que la question de l’habitabilité même de Paris dans les décennies qui viennent. Le sujet était-il nouveau pour la ville?
Alexandre Florentin : Le changement climatique à Paris se traduit par deux principaux aléas : la chaleur et les fortes pluies. Ces aléas climatiques représentent des risques que la documentation technique et politique de la ville avait bien identifié. En début de mandat [NDLR : Juin 2020], il me semblait cependant que la Ville sous-estimait très largement l’ampleur et la vitesse du changement climatique, à la fois dans sa documentation mais surtout dans ses pratiques, par exemple en urbanisme et événementiel. Les alertes des scientifiques étaient pourtant très claires. Je restais notamment marqué par la lecture d’une étude de 2017 indiquant qu’il pouvait faire 50°C ou plus en France à un horizon de temps que des gens déjà nés allaient vivre. Ces températures hallucinantes allaient forcément générer des effets inconnus, qui eux ne me semblaient pas du tout anticipés. J’ai donc proposé au groupe écologiste, à l’automne 2020, de lancer cette mission d’information et d’évaluation « Paris à 50°C ». J’ai eu de longues hésitations quant au titre : s’il décrit une réalité scientifique, serait-il perçu comme trop anxiogène ou alarmiste ? Mes doutes ont été vite balayés. En effet, cette mission a été proposée à la maire en début d’année 2021 mais pour diverses raisons elle n’a pas été lancée tout de suite. Puis arrive l’été 2021 le Canada a connu un quasi 50°C, à une latitude comparable à Paris.
A la rentrée 2021 est sortie la mise à jour du « Diagnostic des vulnérabilités et robustesses de la ville de Paris face au changement climatique », étude technique très détaillée, porté par la DTEC, direction sous la tutelle de Dan Lert, adjoint (EELV) au climat. Ce diagnostic est venu confirmer et surtout préciser plusieurs points : accélération du changement climatique en cours, nombreuses vulnérabilités sur divers systèmes techniques, etc. A l’automne 2021 je lance un travail dans le 13eme arrondissement pour aller encore plus loin que le diagnostic technique, en recueillant des témoignages de commerces, école, EHPAD, clinique, services de la ville, gestionnaires de réseaux, pompiers, etc autour de 2 grandes questions : comment avez-vous vécu les canicules précédentes ? comment vous préparez-vous aux canicules à venir ? Ce travail se conclut début 2022.
Quelles sont les principales fragilités qui ressortent de ces différents travaux ?
Il y a trois manières de parler de ces fragilités qui reviennent dans tous les travaux mentionnés et la mission Paris à 50°C. D’abord, la chaleur a un impact sur la santé des humains, et en premier lieu des plus fragiles et isolés : personnes âgées, malades, personnes à la rue, précaires, en mauvaise condition physique, etc. qui mettent plus de temps à s’habituer aux chaleurs ou n’en ont plus la capacité. A ces publics commencent à s’ajouter les enfants et les adolescents. Pour l’instant, ce n’est pas trop grave, mais ça commence à apparaître. Si c’est un problème pour les humains, ça veut dire aussi que c’est un problème pour le reste des vivants : les animaux, domestiques ou non, et le monde végétal. Ces derniers sont déjà dans un milieu extrêmement adverse pour eux, mais les fortes chaleurs viennent les fragiliser un peu plus. Les végétaux ne vont pas forcément tous mourir d’un coup de chaud, mais peut-être qu’à la prochaine maladie ou insectes qui vont les attaquer, ils vont être beaucoup plus fragiles. C’est à prendre en compte dans les stratégies de végétalisation, et il faut s’attendre à une très grande mortalité des arbres dans les années qui viennent si on ne fait rien. Ensuite, il y a notre sphère technique qui ne fonctionne que sur une certaine plage de températures : électroménager, électronique, serveurs, réseaux télécom, électrique, de transport. Aux températures actuelles, les problèmes sont localisés, maitrisés et anticipés. Tous les ans, il y a par exemple des petits incidents électriques, mais le gestionnaire du réseau sait y faire face et a un plan de transformation à l’horizon qui va encore prendre 10 ans. On sait faire des systèmes techniques adaptés à d’autres climats. Le problème c’est qu’il faudrait changer beaucoup de choses, avec ce que cela représente en temps, ressources matérielles, financières, etc. Nous n’avons pas ces ressources pour maintenir la ville actuelle à un climat très différent. Et le troisième point, c’est notre sphère socio-culturelle, organisationnelle. Les horaires de classes, les périodes scolaires, les horaires du travail, les calendriers des compétitions sportives, etc. sont implicitement conditionnés à un certain climat. Dans d’autres climats, la vie est organisée différemment. Il va falloir changer tout cela, mais tout n’est pas prévu pour.
On sait faire des systèmes techniques adaptés à d’autres climats. Le problème c’est qu’il faudrait changer beaucoup de choses, avec ce que cela représente en temps, ressources matérielles, financières, etc.
Alexandre Florentin
Par exemple, il parait difficilement envisageable pour les personnes habitants en banlieue et qui travailleraient dans un magasin à Paris de le fermer entre 12h et 16h pour prendre une pause « à l’espagnole » en faisant un aller-retour chez elles. Les fragilités ne sont pas les mêmes quand les températures sont à 40°C plutôt qu’à 48°C, ou en Juillet plutôt qu’en Juin, une fois tous les 3 ans ou plusieurs fois par an. Il y a des effets qui peuvent faire péricliter rapidement un système qui fonctionnait bien il y a encore peu.
S’il y a de grandes convergences entre la mission d’information que vous avez présidée et ce rapport sur les vulnérabilités, qu’est-ce que la mission a apporté de plus ?
Les excellents rapports ne se traduisant pas par un changement politique ne manquent pas dans les tiroirs. Il fallait ici construire un consensus politique large, pour augmenter le niveau d’ambition et de cohérence de la majorité, pour préparer demain, infuser dans d’autres échelons territoriaux, éviter les effets de cadrage du type « encore des écolo qui… ». La mission a été pilotée par moi-même (Génération Écologie), rapportée par Maud Lelièvre (affiliée Modem) et composée d’élues et d’élus de l’arc politique parisien (LR, PS, LREM, Modem, PC, EELV, et affiliés). Nous avons ensemble auditionné 75 personnes et institutions, épluchés environ 200 ressources bibliographiques, et débattus pendant plus d’un mois pour arriver à un rapport et à des préconisations consensuelles et à la hauteur du diagnostic. A mon sens, ce consensus se construit sur la base de connaissances partagées, d’un vécu commun, de témoignages, d’un appel et d’un respect à la sensibilité de chacun, d’une certaine rigueur dans la tenue des débats. Sur le fond technique, ce mode opératoire ne génère pas de nouvelles connaissances mais cherche à les partager, à les synthétiser auprès de la classe politique parisienne, et à mettre en exergue des choix à faire, et à en trancher le maximum. La nouveauté de la mission est donc politique et le groupe d’élu, malgré des points de départs très divergents, a conclu que nous n’arriverons pas à tout adapter à n’importe quel scénario climatique. Il y a une limite dure à l’adaptation et des choix très forts se présentent à nous.
Est-ce qu’il y a des priorités qui sont ressorties de la mission et quels sont les gros dilemmes qui sont restés en suspens ?
La question de « on ne pourra pas tout sauver » était une sorte d’implicite dans nos discussions. En coulisse, l’explicite était « la tâche est absolument dantesque ». La conclusion est la même : il faut se donner des priorités assez fortes. « Protéger les enfants » a été une évidence entre collègues du Conseil de Paris. Les canicules arrivant en Juin (comme en 2022) et en Septembre (comme en 2023) sur un parc de bâti qui n’avait historiquement pas besoin d’être adapté aux canicules de Juillet – Août, nous avons un problème relativement nouveau. Les cours Oasis et les rues aux écoles vont dans le bon sens, mais n’apportent rien en termes de confort thermique dans les classes.
on sait très bien, depuis les confinements, que quand l’école a des problèmes au point de fermer des classes, c’est toute la société qui a des difficultés. A l’inverse, des écoles résilientes peuvent aussi devenir des lieux de bien-être voir de refuge pour le reste de la population, hors période scolaire.
Alexandre Florentin
Or, on sait très bien, depuis les confinements, que quand l’école a des problèmes au point de fermer des classes, c’est toute la société qui a des difficultés. A l’inverse, des écoles résilientes peuvent aussi devenir des lieux de bien-être voir de refuge pour le reste de la population, hors période scolaire. Une véritable course contre la montre s’engage pour adapter, rénover, rendre accessible le bati scolaire, alors même qu’on pourra de moins en moins faire de travaux l’été. Va-t-on fermer des écoles une année entière, répartir les enfants dans d’autres endroits, le temps de faire des rénovations globales ? Ce serait une énorme rupture dans la méthode, que l’urgence oblige à envisager. Avant la mission Paris à 50°C, c’était inaudible. L’exécutif va devoir trancher.
Et sur les dilemmes restés en suspens ?
Il y a par exemple la question de la politique patrimoniale. Nous en avons énormément parlé, avons avancé sur certains points et sur d’autres avons estimé qu’un consensus démocratique large et un travail architectural précis étaient nécessaires. Sur suggestion des ABF, nous appelons l’organisation d’une conférence des parties, comme pour le climat, pour définir techniquement et visuellement à quoi va ressembler un Paris adapté. Il y a aussi des questions que nous savions ne pas pouvoir aborder en profondeur, comme la place du tourisme ou des grands évènements qui pose le dilemme de l’attractivité. Cette question va je crois revenir dans les débats budgétaires des prochains mois.
Est-ce qu’il y a d’autres recommandations qui te semblent avoir franchi un cap en termes de consensus politique ?
Je crois que c’est le cas de la question de la mise à l’abris des populations les plus fragiles en cas de dôme de chaleur, ce que nous avons appelé « Plan Grand Chaud ». Paris est sous-dimensionné en termes de salles rafraîchies et d’espaces frais accessibles à toutes et tous. Un tel plan ne peut être uniquement un parallèle du Plan Grand Froid, à la fois en termes de public cible, de type de lieux, de mode organisationnel. Par exemple, les gymnases que l’on met à disposition pour les populations à la rue sont des endroits extrêmement chauds. Il va falloir regarder tous les lieux qui sont naturellement frais et les endroits déjà climatisés qu’il faudrait pouvoir mutualiser. Dans les endroits naturellement frais, on connait déjà les églises ; Il faut maintenant aussi penser aux parking, tunnels, catacombes, caves ou carrières. Au début, quand je l’ai évoqué, il y avait du scepticisme. Quelques mois plus tard, dans un exercice de gestion de crise organisé par la mairie de Paris (octobre 2023), on a mis des enfants dans un tunnel de la Petite Ceinture. En situation, les gens se disent qu’effectivement, il va falloir aller chercher des choses qui ne sont peut-être pas évidentes au premier abord. Peut-être pourrait-on avoir la même stratégie que pour les friches industrielles qu’on a rendu sympathiques par de la programmation culturelle.
L’effort de cartographie des lieux frais a commencé ?
Il pré-existait à la mission sur certaines typologies de lieu (frais ou rafraichis), il se renforce actuellement. L’exercice de gestion de crise est venu confirmer qu’on manquait cruellement d’espaces rafraîchis. Au-delà de la cartographie se joue la question de l’accessibilité, de la sécurisation, de l’organisation pour l’ouverture au public. Ceci demande un travail important de coordination entre différents services de la Ville et de l’État, et des arbitrages différents des risques. Il faut aussi interpeller et préparer le secteur privé. Aux acteurs que je rencontre, je suggère d’anticiper la possibilité que leurs bureaux, demain, pour avoir le droit d’utiliser la climatisation, devront aussi servir de lieux refuges aux populations dans certaines conditions. On pourrait déjà commencer par des halls d’entrée accessibles aux personnes âgées du quartier.
La question du tourisme n’est pas abordée dans le rapport. Comment faites-vous le lien entre cette question fondamentale du tourisme et de l’attractivité de Paris ?
Dans ma vie de consultant j’avais un peu travaillé sur le bilan carbone de la Ville de Paris. Je connaissais donc les chiffres et dès le début de mandat j’ai signalé que ça n’était pas normal que l’aérien du tourisme n’y figure pas alors que c’est un sujet à plusieurs millions de tonnes de CO2e. Si un acteur du privé faisait ça, on parlerait de greenwashing. C’est regrettable parce que par ailleurs Paris s’est doté d’un bilan carbone qui est très complet. Sauf qu’en début du mandat, c’est inaudible. On me dit qu’aucune ville ne le prend en compte ou que si on commence à le prendre en compte, cela va tasser tous les efforts qu’on a pu faire par ailleurs et qu’on n’atteindra jamais la neutralité. Soit dit en passant, ça ne s’atteint pas, la neutralité, sauf au niveau mondial. Sur la fin de la mission Paris à 50°C, le sujet commence à rebouger. Avec le soutien du groupe écologiste, de Dan Lert et Frédérique Hocquard (NDLR adjointe au maire en charge du tourisme), nous avons fait adopter en Mai 2023 un vœu qui demande la réduction du trafic aérien des quatre aéroports franciliens et un plan de bifurcation des emplois impactés dans le tourisme. Un vœu c’est incantatoire, mais ce n’est pas rien de la part de la première destination touristique mondiale. Au lancement de la mission, il y a déjà trop de sujets et pas assez de soutien pour aller sur ce terrain. Je fais aussi le pari qu’en allant assez loin dans la réflexion sur l’adaptation, en montrant qu’il y a une limite dure à celle-ci, de moins en moins d’élus pourrait vivre avec cette dissonance.
Certains élus de la majorité se rendent bien compte qu’il y a quand même un petit problème dans la machine. On ne peut pas financer l’adaptation de Paris en misant tout sur la croissance. C’était ça le discours largement admis jusqu’à présent. Paul Simondon, l’adjoint socialiste au budget et aux finances a été très explicite là-dessus quand nous l’avons auditionné pour la mission. Un climat qui change fortement va modifier les sources de revenus de la ville à la baisse et les dépenses à la hausse.
l’attractivité implique nécessairement beaucoup de gaz à effet de serre, c’est une stratégie qui implicitement dit que l’adaptation de la ville de Paris peut bien se faire au détriment des autres territoires. C’est l’écueil de la croissance verte
Alexandre Florentin
Lorsque je lui ai demandé comment ses services anticipaient cela, il a répondu que pour maintenir les revenus, il fallait qu’on maintienne l’attractivité de la ville et qu’au niveau des dépenses, on était dans les clous en faisant l’isolation thermique des bâtiments. C’est un discours de la continuité de l’attractivité pour les recettes d’une part, des niveaux et des modes de dépenses d’autre part, qui montre une absence totale d’anticipation des effets de ruptures environnementaux. Sur le principe également, puisque l’attractivité implique nécessairement beaucoup de gaz à effet de serre, c’est une stratégie qui implicitement dit que l’adaptation de la ville de Paris peut bien se faire au détriment des autres territoires. C’est l’écueil de la croissance verte, et à quelques mois des JO, je pense qu’on va en avoir plein les yeux.
Comment voyez-vous la suite de la réflexion sur Paris sans l’attractivité ?
La tension que je décris est le propre de toutes les familles productivistes, de gauche comme de droite. Même du côté d’EELV, il me semble que la discussion n’est pas encore allée au bout. Cette absence de clarté empêche une mobilisation des forces disponibles pour approfondir le sujet et la génération d’idée à la hauteur du défi. Pour arrêter l’immense ilot de chaleur qu’est le Grand Paris, il faut arrêter de construire des mètres carrés à Paris et dans le Grand Paris. Mais en même temps, il y a quand même des besoins de logement. Comment est-ce que l’on résout ça ? Une réponse croissance verte, c’est de vouloir faire des logements qui sont 10-20% mieux en termes d’empreinte carbone. Une approche vraiment décroissante, c’est de dire qu’il n’y a pas de problème de mètre carré, mais un problème de répartition du mètre carré, ou que ça n’est pas grave que la population baisse en IDF. Il faut alors aller regarder où sont les mètres carrés mal utilisés pour notre bien commun et aller chatouiller la propriété privée. C’est beaucoup plus révolutionnaire comme manière de faire, mais pour l’instant, cette discussion n’a pas beaucoup lieu.
Sur le tourisme aérien, il ne faut pas le voir comme un tout ou rien. Il y a une question de dynamique là-dedans. Réduire ne veut pas dire qu’il n’y ait plus du tout d’avion qui volent demain matin depuis Paris. Commençons par -10 %/an quelques années de suite. Par ailleurs, il faut absolument avoir en tête qu’en plus d’être une question de planification, il y a une question de risques. C’est-à-dire que plus les ressources publiques dépendent indirectement du tourisme aérien, plus on est en train de prendre un risque. Parce que demain, quand il fera 50°C à Paris, quand l’Espagne sera semi-désertique, quand il y aura New York sera sous un smog des feux du Canada, quand les Chinois auront les pieds dans l’eau etc., il y aura moins de touristes internationaux. La casse sociale sera bien plus grande si tout cela n’est pas anticipé. C’est un argument qui n’est pas du tout moralisateur et qui peut être compris par les sphères économiques et des cercles de droite aussi.
Comment a été accueilli le travail de la mission par les autres groupes politiques du Conseil de Paris ?
Bien, ils y ont tous participés (en dehors de la FI) et tout ce qui est dans le rapport fait donc l’objet d’un consensus politique. Cela vient d’un travail de longue haleine. Pour lancer la mission il fallait la signature d’un certain nombre de conseillères et conseillers de Paris. Ce n’était pas nécessaire arithmétiquement, mais j’ai souhaité une signature de tous les groupes pour envoyer le message que nous allions travailler tous ensemble. Pendant la mission, la quinzaine d’élus de tout bord politique a fait preuve d’une grande assiduité. Il y a eu des moments très tendus, notamment quand des réalisations urbanistiques des 20 derniers années ont été critiquées, mais au final nous avons obtenu un consensus ambitieux.
Comme décrit par Bruno Latour dans ‘ Où atterrir », c’était assez intéressant de voir en direct des recompositions politiques possibles. Le sujet est tellement grave que nous sommes touchés à des niveaux philosophiques, culturels, parfois spirituels, et les réponses politiques habituelles ne sont parfois plus adaptées. Ensuite, à la sortie du rapport, les groupes politiques ont publiquement salué ce travail collectif, puis le jeu politique et politicien a repris son court. C’est normal puisque le consensus ne veut pas dire être d’accord sur tout. Par exemple, pour des élus de droite, la question de la protection des populations face à une crise qui est déjà là était une manière de converger vers des solutions communes.
Est-ce qu’en dehors du Conseil de Paris, il y a eu des suites à la mission d’information ?
La couverture presse a été conséquente pour un travail de ce type (articles, une de Libé, passages aux JT de TF1 et France 2, interviews radio et télé en France et à l’étranger…). J’ai été invité à en parler dans de nombreuses enceintes publiques et privées et je continue de participer à des conférences dans plusieurs villes de France ainsi qu’à l’étranger, souvent à l’initiative de collectifs citoyens. Cela me donne l’occasion d’échanger avec des personnes et des élus de différents bords politiques, ainsi que des acteurs variés dans le privé. A noter qu’un mouvement citoyen s’est spontanément créé à la suite d’interventions. Chloé Sagaspe, Melody Tonolli et Alice Timsit (membres de la mission, EELV) ont pris régulièrement la parole sur le sujet et Eva Sas (députée, EELV) a organisé un travail AN – Sénat sur le sujet qui a fait l’objet d’une publication avec des propositions. Nathalie Laville (membre de la mission, affiliée PS) a organisé avec le député FI Rodrigo Arena un évènement sur l’école à 50°C. Chez les socialistes, il est fait usage du gimmick « Paris à 50°C » mais en dehors de l’exercice de gestion de crise je n’ai pas vu de travaux approfondis. Les communistes ont quant à eux continué de travailler et communiquer sur la question de l’adaptation du travail. Dans l’opposition, en dehors de Maud Lelièvre (rapporteure, affiliée Modem) qui a pris régulièrement la parole sur le sujet, je n’ai pas connaissance de travaux d’ampleur, sauf du côté du gouvernement autour de la France à +4°C. Reste que tout cela doit encore se traduire dans des décisions opérationnelles. Je suis persuadé qu’un réseau transpartisan d’élus sur la résilience est nécessaire.
À Paris, quelles sont les suites de la mission ?
En ce moment, le prochain plan climat est négocié et doit être voté d’ici la fin de l’année. Une première évolution, c’est que l’adaptation prend dorénavant une place centrale dans le plan. Au moins autant que la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Là, il y a une inversion complète du discours que j’avais appelé de mes vœux depuis un certain temps. Le plan climat est aussi en train de traduire en actions des préconisations de la mission. C’était aussi un objectif de la mission pour les écologistes : aller le plus loin possible pour négocier le plan climat le plus ambitieux. Mi-Octobre a été organisé un double exercice de gestion de crise : l’un avec les populations, en conditions « réelles, un autre sur table, plutôt pour les services de la ville. Pendant toute la phase de préparation, j’ai alimenté au maximum en idées et en documents de travail les organisateurs pour que leur scénario soit le plus réaliste possible. Cet exercice a été appelé « Paris à 50°C » et je doute que ce soit anodin. J’ai l’impression que l’on ne reviendra pas en arrière sur la question de l’adaptation à Paris. Cette bataille me semble gagnée. Celle qui est encore à mener est celle de la décroissance vs croissance verte comme je l’ai expliqué précédemment.
Sur l’exercice de gestion de crise justement, qu’est-ce que cela a dit des différents acteurs ? Qui étaient prêts, qui ne l’était pas ?
Tous les acteurs qui ont un lien très direct avec le terrain voient le problème. Idem pour toutes les directions qui ont du personnel à l’extérieur, des systèmes techniques à gérer déjà sensibles aux températures actuelles. C’est pareil dans le privé. On le voit très bien par exemple dans le livre de Franck Lirzin, « Paris face au changement climatique ». Quand il était au COMEX de Gécina, il fallait bien qu’il réponde aux gardiens et gardiennes d’immeubles qui se plaignaient de la chaleur dans leur loge.
il y a une différence entre avoir conscience du problème et avoir un plan d’action concret pour un dôme de chaleur à 45°C ou 50°C. L’exercice de gestion de crise a montré les forces existantes et les impréparations
Alexandre Florentin
Dans le privé, il y a des gens qui doivent gérer des flux physiques. Ils voient bien le problème. Dès qu’on s’éloigne de la gestion opérationnelle, dans le privé comme le public, je constate une moins bonne compréhension du problème actuel et à venir. Pendant l’exercice, on a vu que tous les acteurs représentés avaient appris des canicules précédentes. Mais il y a une différence entre avoir conscience du problème et avoir un plan d’action concret pour un dôme de chaleur à 45°C ou 50°C. L’exercice de gestion de crise a montré les forces existantes et les impréparations. L’enjeu est d’à la fois se préparer aux crises, de s’adapter fortement à la tendance, d’arrêter de renforcer le problème.
Ce que vous dessinez là est très éloigné de ces Smart Cities qui nous ont été longtemps vendu comme seul horizon de développement ?
Oui. Les Smart Cities, ça fait déjà quelques années que je n’en entends plus parler, y compris dans le privé. Je suis allé faire une conférence sur Paris à 50°C devant 300 personnes chez Bouygues. Ils ne parlent plus de ça. Ils sont déjà passés à d’autres concepts. Des travaux comme Paris à 50°C doivent aussi questionner les dernières feuilles de route produites dans le champ de l’écologie. Je pense au plan de transformation de l’économie française du Shift Project, qui est similaire dans son approche avec la stratégie nationale bas carbone. Il n’y a pas un mot sur l’adaptation dans ces documents-là. Le PTEF, d’une certaine manière, était certes nécessaire, mais, au moment de sa publication, était déjà en retard par rapport au chaos climatique dans lequel nous sommes. Il faut arrêter de planifier la décarbonation comme si on n’avait pas aussi un climat qui change à gérer en même temps. L’agenda de la résilience donne un pourquoi de l’action qui est beaucoup plus clair et pose la question de ce qui est cher à nos yeux. Cette question me semble très mobilisatrice. Profitons-en pour embarquer plus de monde ! La vigilance doit être sur le fait de ne pas dépenser du carbone pour adapter des infrastructures qui ne servent à rien. On revient toujours à la question des renoncements, mais avec entrée différente.
Les prochaines élections municipales seront décisives pour mener à bien l’adaptation des villes. Comment appréhendez-vous cette échéance ?
Tout d’abord il faut regarder le point de départ. Je ne suis pas complètement sûr que si les écologistes avaient gagné à Paris en 2020, nous aurions mené une politique radicalement différente des socialistes. Certes, il y a des projets qu’on aurait arrêtés, d’autres qu’on aurait fait… Mais il faut encore franchir un palier et construire ensemble un projet qui ne repose plus sur l’attractivité. J’ai le sentiment qu’en 2026 la ville se gagnera sur un programme sérieux autour de l’adaptation. Ceux qui vont montrer de manière la plus sérieuse qu’ils vont protéger les Parisiennes et les Parisiens de tout ce qui est en train de se passer, peuvent gagner. Et donc, il va falloir se poser la question : est-ce qu’on cherche à tout protéger ? L’adaptation va coûter extrêmement cher. Vouloir tout protéger, c’est accepter de rester sur le modèle de l’attractivité, continuer de détruire ailleurs, continuer de fermer les yeux sur les conséquences et finalement participer à ce que tout le monde perde à la fin. Ou alors, on assume de prioriser. Dans ce cas il faut travailler sur des hypothèses assez fortes, comme par exemple, à horizon 2030 diviser par deux le nombre de touristes. C’est juste une hypothèse. Moins de touristes, c’est une ville peut-être plus agréable, mais ce sont des recettes en moins. Qu’est-ce qui se passe ?
Une manière de construire un programme dans un monde en permacrise, c’est de faire des analyses par scénario. On prend des scénarios contrastés de l’avenir et on évalue comment on propose de naviguer dans ces scénarios-là. Je pense qu’il faut à la fois un plan de transformation rapide et protecteur, avec un discours très positif sur ce que ça va apporter. Mais je pense que si on veut vraiment se préparer à gérer la ville à partir de 2026, il faut aussi avoir des plans B et penser les grosses difficultés qui s’annoncent. Je n’ai pas toutes les réponses, il faut y travailler.
Pensez-vous que Paris est prêt pour l’été prochain ?
Le risque est énorme et le déni reste fort. Le préfet de la zone de défense était présent à la conférence de presse de l’exercice de gestion de crise. Il a lui-même fait le lien avec les JO, en souhaitant à la fois avoir du beau temps et qu’il ne croyait pas à des températures au-dessus de 40°C pendant la compétition. En septembre 2023 sont sortis de nouvelles études sur le climat, avec des modèles mis à jour après le dôme de chaleur au Canada en 2021. Ces modèles annoncent des températures égales ou supérieurs à 45°C « au climat actuel », c’est-à-dire potentiellement pour les JO 2024. Or 45°C, c’est déjà au-dessus des normes habituelles de fonctionnement des climatiseurs en France. Il y a de quoi s’inquiéter et se demander ce qu’on va faire dans cette galère. Cette question n’est d’ailleurs pas propre à Paris : pourquoi financer l’avion vert ou l’EPR ou l’A69 ou … quand une mécanique d’effondrement de certains systèmes semble déjà si avancé ?
Propos recueillis par Kévin Puisieux