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Les inégalités environnementales en France

- 20 juin 2014

Les Notes de la FEP #3

Les inégalités environnementales en France. Analyse / Constat / Action

Par Éloi Laurent

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Eloi Laurent est économiste senior à l’OFCE / Sciences Po, il enseigne à l’Université de Stanford. Il vient de publier Le bel avenir de l’État Providence (Les Liens qui Libèrent) Paris 2014, 160 pages.

Préface de Catherine Larrère

Pourquoi une note de la Fondation de l’écologie politique sur les inégalités environnementales? C’est que, faute d’instruments d’analyse adéquats, elles restent largement méconnues en France, alors qu’il en va de la justice sociale, et de la protection contre les inégalités.

Des trois piliers du développement durable, tels qu’ils ont été définis à la Conférence de Rio, en 1992, on n’en a, le plus souvent, retenu que deux : l’attention s’est concentrée sur la capacité des économies à intégrer les contraintes écologiques. Réduit à n’être que le volet emploi de l’économique, le social n’a pas été mis en relation directe avec l’environnemental.

Or cette relation existe: les inégalités environnementales, comme le montre Éloi Laurent, en sont la preuve.

Croit-on que le risque environnemental (des pollutions ordinaires aux catastrophes globales) menace tous les humains également et qu’il serait donc inutile d’en étudier la différenciation sociale? C’est manifestement faux. L’ouragan Katrina, qui a frappé en 2005 la ville de la Nouvelle Orléans et une partie de la Louisiane, en a certes atteint tous les habitants, mais de façon très inégale : ce sont les populations les plus défavorisées, et  plus particulièrement, parmi celles-ci, les Afro-Américains qui ont été à la fois les plus touchés par le désastre et les moins armés pour y faire face (problèmes d’évacuation, notamment, liés à l’insuffisance des transports en commun pour des populations qui ne disposaient pas d’assez de voitures particulières), c’est parmi ceux-ci que le nombre de victimes a été le plus élevé et que ceux qui s’en sont sortis ont eu le plus de mal à retrouver des conditions de vie décentes. Or cela vaut dans beaucoup d’autres cas. La relation des humains à leur environnement (qu’il s’agisse de la relation -négative- au risque environnemental ou de la relation positive aux aménités environnementales) est une relation très inégale, et, le plus souvent, les inégalités environnementales recoupent les inégalités sociales. Ceux qui sont les plus défavorisés socialement sont aussi ceux qui sont les plus frappés par les dégradations environnementales tout en étant les moins armés pour y faire face : ils sont à la fois plus vulnérables et moins résilients.

Il y a là une injustice criante que résume Dale Jamieson, un philosophe américain : au niveau national comme au niveau international, « les pauvres –ou les plus défavorisés-  souffrent de façon disproportionnée d’une pollution environnementale qui est produite par la société dans son ensemble ». [1]

Si les inégalités environnementales, pour importantes qu’elles soient, restent si largement méconnues, cela tient à ce que, pour les faire apparaître, il faut reconsidérer et notre conception du social, et celle de l’environnement.

S’intéresser aux inégalités environnementales et à la façon dont elles affectent les sociétés, c’est découvrir que l’inégalité sociale ne se mesure pas seulement en termes de différences de revenu, ou de pouvoir d’achat, mais par rapport au bien-être. Au coeur du bien-être, il y a la santé. C’est la préoccupation principale des populations humaines, tout particulièrement des Français, comme le font ressortir de nombreux sondages : ce qui compte ce n’est pas seulement l’espérance de vie, mais l’espérance de vie en bonne santé.  Or, à une époque, où comme le rappelle Eloi Laurent ‘le nombre de décès par maladies professionnelles dépasse le nombre de décès par accident du travail’, et où ces maladies professionnelles, sont, à la fois, distribuées socialement de façon très inégale et de plus en plus liées aux conditions environnementales (le cas de l’amiante est exemplaire), on voit à quel point il importe de ne pas s’en tenir à une conception du social qui ne prenne en compte que le niveau de salaire. Il faut situer le social dans l’environnemental. Il faut voir à quel point la qualité de la vie est liée à l’environnement.

Cela implique aussi que l’on revienne sur les conceptions reçues de l’environnement. Aux États-Unis où des mouvements de justice environnementale se sont développés dans les années 1980 en mobilisant des populations locales affectées par différents problèmes de pollution, les dirigeants d’un de ces mouvements qui étaient allés chercher des soutiens auprès d’organisations environnementalistes naturalistes comme le Sierra Club se sont fait éconduire au motif que leurs revendications, certes justifiées, portaient sur des questions de santé alors que l’environnement avait à voir avec la protection de la nature et des espèces menacées. Une situation de ce type ne risque pas de se produire en France, où ces traditions naturalistes sont beaucoup moins fortement représentées. Mais l’on s’en tient trop souvent à une définition purement physique du risque environnemental, comme on l’a vu à propos du bruit : le bruit et la menace qu’il fait peser sur la santé ne soin pas uniquement une question de décibels, celui-ci n’a de sens que situé dans un contexte social : voisinage, possibilité, ou non de changer de logement…. L’environnement ce n’est pas seulement un milieu naturel, ou des données physiques, c’est une communauté de vie qui associe humains et non humains.

On voit ainsi comment lier l’environnemental et le social met la santé sur le devant de la scène. Faire surgir ces questions, c’est renouer avec une conception de l’écologie qui avait été un peu laissée de côté.

Lorsque Ellen Swallow, la première femme à être entrée au Massachusetts Institute of Technology, où elle fit des études de chimie, envisagea, en 1892, une science qu’elle se proposa de nommer « oekology », elle n’entendait pas ce mot au sens que lui avait donné le biologiste Ernst Haeckel lorsqu’il l’introduisit en 1866, pour en faire la science des relations des êtres vivants avec leur milieu, ou leur environnement. Il s’agissait pour elle d’une science de la qualité environnementale, prenant en considération les effets de l’industrialisation sur la santé, la qualité de l’air et de l’eau, des transports, de la nutrition. Là où une bonne partie de l’écologie (notamment celle des Fundamentals of Ecology, en 1953, des frères Odum, qui a servi longtemps de modèle scientifique) a continué dans la voie de Haeckel, et s’en est tenue à une approche très naturaliste, l’écologie telle que l’a définie Ellen Swallow appréhende l’environnement dans la façon dont il affecte la santé et la qualité de vie de ceux qui s’y trouvent. On retrouve cette préoccupation aussi bien dans ce que l’on appelle l’écoféminisme (qui cherche à lier la question environnementale aux questions de genre), que dans les mouvements de justice environnementale, que ce soit aux Etats-Unis, en Amérique du Sud ou en Asie du Sud Est, où l’on s’intéresse à l’ensemble des conditions de vie, et pas au seul revenu. Il est remarquable, de ce point de vue, que le Sommet des peuples de couleur, émanant des mouvements de justice environnementale, qui s’est réuni en 1991 à Washington ait posé, dans son huitième  principe de justice, ‘Le droit de tous les travailleurs à un environnement sûr et sain (safe and healthy) sans être forcé de choisir entre un environnement dangereux (unsafe) et le chômage. Le droit aussi pour ceux qui travaillent chez eux d’être à l’abri des risques environnementaux’

C’est avec cette idée du lien étroit entre environnement et santé, et ce refus de séparer le travail et les conditions de vie que nous conseillons au lecteur d’aborder la note d’Eloi Laurent.

Catherine Larrère

Philosophe, professeur émérite à l’Université Paris I

Présidente de la Fondation de l’Ecologie Politique



[1] Dale Jamieson, « Gobal Environmental Justice » in Dale Jamieson, Morality’s Progress, Oxford, Clarendon Press, 2002, p. 297.

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