Le scrutin des 30 juin et 7 juillet pourrait voir le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen et Jordan Bardella remporter une majorité relative ou absolue au sein de l’Assemblée nationale.
Le choix fait par Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale au soir du résultat des élections européennes, où le Rassemblement national s’est imposé avec 31,37 % des voix devant la liste de Valérie Hayer à 14,60 % des voix, a ouvert une séquence politique et institutionnelle inédite. Pour la première fois depuis la mise en place du quinquennat et de l’inversion électorale, les élections législatives auront une place centrale dans la vie démocratique française. Pour la première fois depuis 1997, un changement d’orientation politique pourrait découler des élections législatives et non présidentielles. Or ce scrutin est territorialisé autour de 577 circonscriptions avec comme première conséquence, évidente, qu’un sur-vote de gauche dans le centre-ville de Rennes ne pourrait pas venir compenser un sur-vote Rassemblement national dans une circonscription où le résultat serait serré, et inversement.
La possibilité ou non pour le Rassemblement national et ses alliés d’obtenir une majorité, qu’elle soit relative ou absolue, va donc se décider sur une partie seulement du territoire national. Dans cette note, nous souhaitons nous concentrer sur ces dizaines de circonscriptions, qui au regard du résultat des élections européennes, ont placé en tête les forces de gauche et écologiques – aujourd’hui rassemblées sous l’étiquette du Nouveau Front populaire – et le Rassemblement national loin devant la liste de la majorité présidentielle.
L’identification de ces circonscriptions « duelles » et potentiellement bascules, où le Nouveau Front populaire semble en situation de disputer au Rassemblement national l’issue des votes doit permettre d’établir – à nouveau avec toutes les limites que représente l’exercice – une cartographie du duel entre le Nouveau Front populaire et le Rassemblement national. Cette cartographie des potentiels duels, fait apparaître, par comparaison avec les circonscriptions qui s’étaient choisies en 2022 un·e député·e NUPES, le déplacement de la bataille électorale entre la gauche et l’extrême droite sur des territoires plus périurbains.
Les 59 match retour du duel Rassemblement national / NUPES
Les élections législatives de 2024 seront tout d’abord l’occasion d’un match retour à haut risque dans 59 circonscriptions déjà marquées en 2022 par un duel au second tour entre la NUPES et le Rassemblement national. Parmi ces 59 circonscriptions, 26 avaient été gagnées par une candidature NUPES, 33 par une candidature Rassemblement national. Ne pas perdre ces matchs retours, et en gagner certains, représente un premier défi du Nouveau Front populaire.
92 circonscriptions pour un duel
Cette année, le résultat des élections européennes, notamment marquées par un échec de la liste de la majorité présidentielle, laisse entrevoir un nombre beaucoup plus important de duels entre le Nouveau Front populaire et le Rassemblement national.
Pour en dresser une première liste, nous avons identifié les circonscriptions qui aux élections européennes de juin 2024, ont placé à plus de 29 % le Nouveau Front populaire, en additionnant les scores des différentes formations qui composent le Nouveau Front populaire et l’extrême droite, en additionnant le score du Rassemblement national et de Reconquête ! Nous ne prenons pas en compte les circonscriptions ayant des député·es sortant·es NUPES ou Rassemblement national, présentées ci-dessus. Nous avons également écarté les circonscriptions des français·es de l’étranger, pour lesquelles nous n’avons pas les données socio-économiques, mais aussi les circonscriptions d’outre-mer qui mériteraient d’être analysées à part entière. Cela nous permet d’identifier 92 circonscriptions avec un fort risque de duel Nouveau Front populaire et Rassemblement national.
Il est important de garder à l’esprit les nombreuses limites qui accompagnent cette note. Les élections législatives n’ont pas le même mode de scrutin et n’auront, d’après les dernières projections, pas le même taux de participation. Il est difficile d’anticiper ce que celles et ceux qui iront voter aux législatives, mais qui s’étaient abstenus en juin, feront.
Par ailleurs, il existe une forte incertitude liée au risque de triangulaire. Sont qualifiés au second tour les deux candidat·e·s arrivé·es en tête au premier tour, mais aussi celles et ceux qui obtiennent 12,5 % des électeurs ou électrices inscrit·es (et non pas exprimés), en 2022 il n’y a eu que 8 triangulaires avec une participation à 47 %, avec des estimations d’une participation qui pourrait s’approcher des 60 %, la probabilité de triangulaire est plus élevée, il faut obtenir environ 20 % des suffrages exprimés pour se qualifier au second tour. La multiplication des triangulaires aura des conséquences incertaines dans un contexte où la majorité présidentielle semble décidé à renvoyer dos à dos le Nouveau Front populaire et l’extrême droite, réduisant ainsi les chances de voir un·e candidat·e Ensemble, arrivé·e derrière le Nouveau Front populaire se retirer pour faire clairement barrage à l’extrême droite.
Les territoires périurbains au centre du duel Front Populaire / Rassemblement national
Grâce à une typologie et des données socio-économiques établies par l’INSEE, il est possible de préciser la géographie du duel entre le Nouveau Front populaire et le RN et ses alliés.
Sur 92 circonscriptions :
– 27 circonscriptions ont une population rurale et périurbaine inférieure à 10 % de la population totale.
– 41 circonscriptions ont une population rurale et périurbaine comprise entre 10 et 50 % de la population totale.
– 24 circonscriptions ont une population rurale et périurbaine supérieure à 50 % de la population totale.
Par rapport à la moyenne des circonscriptions NUPES sortantes, (hors circonscriptions français·e·s de l’étranger), les circonscriptions duelles ont une population habitant une commune rurale périurbaine (1) plus importante (21 % contre 12,3 %). La moyenne est même plus importante que la moyenne de l’ensemble des circonscriptions qui se situe à 19,3 %.
À noter en revanche, pour ce qui concerne la population habitant dans le rural non périurbain, que l’écart entre les circonscriptions duelles et les circonscriptions NUPES sortantes est beaucoup plus faible ( 11,4 % contre 9,8). Cela s’explique par l’implantation historique, de la gauche mais aussi des écologistes dans certains territoires ruraux (voir la dernière note de Simon Audebert ).
Ce déplacement des enjeux électoraux vers des territoires plus périurbains impliquent que le duel Nouveau Front populaire/Rassemblement national sera tranché par des populations plus fortement utilisatrice de la voiture pour aller travailler (3,3 % de plus que la moyenne de l’ensemble des circonscriptions et 15,3 % de plus que dans les circonscriptions NUPES sortant·e·s) ou plus souvent habitantes de maison individuelles (environ 60 %, soit 1,9 % de plus que la moyenne de l’ensemble des circonscriptions, et 16 % de plus que les circonscriptions NUPES sortant·e·s)
Par ailleurs, si la part de personnes qui ont accès à un médecin dans leur commune est plus importante de 1,3 % dans les circonscriptions duelles par rapport à la moyenne de l’ensemble des circonscriptions, c’est 4,8 % de moins que la moyenne des circonscriptions NUPES sortant·es. En moyenne, au sein des circonscriptions duelles, 15,7 % des personnes qui n’ont pas accès à un médecin dans leur commune.
Tirer les leçons de cette cartographie des circonscriptions « duelles »
Ces quelques éléments, même s’il méritent d’être pris avec des pincettes, viennent à nouveau tailler en brèche les théories en vogue d’une fracture définitive entre grandes villes et périurbain/rural. Ces quelques résultats viennent rappeler que les divisions politiques traversent aussi des territoires que certains aimeraient homogènes socialement, économiquement ou politiquement.
Mais dire cela n’enlève rien au fait que c’est dans une partie de la France des Gilets jaunes (voir la publication l‘Écologie depuis les ronds-points) que l’équilibre de la prochaine Assemblée nationale va, au moins en partie, se décider. La capacité du Nouveau Front populaire à freiner la progression du Rassemblement national dépendra entre autres de sa capacité à mener campagne depuis et pour ces territoires et leurs habitant·e·s. Un rendez-vous politique décisif pour les gauches et l’écologie politique.
(1) La population habitant une commune rurale périurbaine est obtenue grâce aux portraits des circonscriptions législatives mis à disposition de l’INSEE et basé sur le recensement de 2019 (https://www.insee.fr/fr/statistiques/6436478). La part de la population rurale périurbaine correspond à la part de la population qui vit dans une commune rurale sous influence d’un pôle, tel que défini par l’INSEE dans sa définition du rural ( https://www.insee.fr/fr/statistiques/5039991?sommaire=5040030#onglet-2 ). L’influence d’un pôle correspond au fait d’appartenir à l’aire d’attraction d’une ou plusieurs villes de plus de 50 000 habitants.
Annexe : les informations circonscription par circonscription
